Guernesey, 1er novembre [18]68, dimanche, 7 h. ½ du m[atin]
Cher bien-aimé, je voudrais que cette banalité : BONJOUR, fût pour toi, quand je te le donne, comme une caresse, comme une bénédiction et comme un rayon car il est fait de mes baisers, de mon cœur et de mon âme. Nous voici donc enfin sortis de cette fatale et désastreuse treizième année que tu redoutais, hélas ! avec trop de raisons [1]. J’espère que la dîme cruelle que Dieu a prélevéea sur tes plus chères affections pendant cette lugubre année t’exonèrera de tout nouveau malheur dans l’avenir. Je le lui demande dans mes prières les plus ardentes et j’espère qu’il m’exaucera. Comment as-tu passé la nuit, mon cher grand bien-aimé ? Bien, n’est-ce pas ? Moi aussi, j’ai bien dormi malgré les agressions féroces de mon bras. Du reste, il ne faut pas que je m’en plaigne trop fort car depuis qu’il me tourmente, je n’ai pas souffert une seule fois d’aucune autre partie de mon corps. Donc je dois me féliciter au lieu de gémir et c’est ce que je fais avec joie. Les pattes de Griffon vont décidément mieux, à ce que dit Suzanne qui la panse trois fois pas jour. Encore une fois, tout est bien et je remercie Dieu que j’adore à travers toi.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 300
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « a prélevé ».