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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 22 juillet 1858, jeudi matin, 6 h. ¼

Bonjour, mon bien-aimé, bonjour, ne te réveille pas, mon âme saura bien parler à voix basse à ton âme pendant que ton pauvre corps se reposera des douloureuses fatigues de la maladie. J’espère que tu as passé une bonne nuit et que le progrès vers la guérison sera encore plus marqué aujourd’hui qu’hier. Mais cette marche du mieux est lente. Peut-être vaut-il mieux qu’il en soit ainsi que trop hâtée car il n’y a pas de rechute possible ; mais quel courage et quelle résignation et quelle patience il faut que tu aies, mon bien-aimé, pour souffrir si longtemps sans presque te plaindre. Quant à moi, je n’ai pas tant de philosophie et de stoïcisme et il m’arrive de me plaindre et de pleurer bien des fois par jour depuis que nous sommes séparés. Il est convenu avec tous ceux qui par hasard me voient dans ce chagrin et ce découragement qu’on ne t’en parlera pas car je serais au désespoir d’ajouter ma tristesse à tes maux et mon découragement à ta patience et à ton courage. Quand tu liras ces gribouillis, tu seras bien portant ; je serai heureuse et nous pourrons repasser avec calme et [illis.] la revue de toutes nos angoisses passées. En attendant, je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 139
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette


Guernesey, 22 juillet 1858, jeudi matin, 11 h. ½

Avec la permission et même sous l’ordre du Docteur je te fais acheter une grappe de raisin très doux et très mûr dont tu pourras manger, mon cher adoré, de vingt à vingt-cinq grains dans ta journée. C’est une joie et une consolation pour moi que mes petites économies de bouche contribuent pour leur petite part à rafraîchira ton pauvre sang brûlé par le travail. Mange donc ce bon petit raisin, comme je te l’envoieb, avec le désir et l’espoir de te faire du bien. Je sais par le docteur que le mauvais temps d’aujourd’hui n’arrête pas le progrès du mieux et que la lente amélioration de ton état va toujours son petit bonhomme de chemin sans vouloir presser le pas sous notre impatience ni se laisser influencer par mes prières et par mon amour. Il faut de guerrec lasse lui laisser suivre son allure qui a probablement sa raison d’être dans ton intérêt et dans le mien, mais, hélas que c’est long ! J’attends que Kesler vienne pour t’envoyer ma graippe [sic] et mon petit œuf tout chaud pondu. J’espère que tu ne me l’enverras pas trop tard pour en profiter le reste de la journée. Je sais que tu dois prendre un lavement purgatif aujourd’hui mais cela n’empêchera pas le raisin au contraire. C’est le Docteur qui le dit. Ainsi mon bien-aimé ne t’en fais pas faute, non plus que de m’aimer car moi, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16379, f. 158
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « raffraichir ».
b) « l’envoi ».
c) « guère ».


Guernesey, 22 juillet 1858, jeudi, 4 h. après-midi

Que dis-tu de mon raisin, mon cher petit malade ? Lui as-tu fait bon accueil au moins et as-tu daigné sourire au boniment que je t’ai fait débiter par Quesnard pour calmer tes scrupules de conscience et favoriser les besoins et les goûts de ton cher petit estomac ? J’espère qu’il viendra me rendre compte ce soir du succès de sa mission et me donner surtout, bien par-dessus tout, de tes chères nouvelles dont mon pauvre cœur est toujours de plus en plus avide. Miss Ailex est venue charpiller avec moi pendant deux heures. Elle vient de s’en aller avec une bonne petite malle de charpie. Je sais que tout le monde s’empresse à ce travail avec les mains et le cœur et je n’en suis pas jalouse. Au contraire, j’aime tous ceux qui d’une façon ou de l’autre tâchent de contribuer à ton soulagement et à ta guérison. De mon côté je ne suis pas inactive, je t’assure, peut-être t’en aperçois-tu si mes envois te sont remis exactement en mains propres. Rosalie est venue bien tard chercher du bouillon. J’aimerais mieux qu’elle vînt tous les matins et le soir au moment de ton dîner chercher ce qu’il te faut de bouillon et d’œuf. De cette façon, je serais plus sûre que tu as tout cela frais et sain tandis qu’autrement je crains la négligence et l’étourderie des domestiques te donnant du bouillon passé ou aigre et des œufs de huit jours. Pardonne-moi mon rabâchage, mon cher adoré, il vient du trop plein de mon cœur. Je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 159
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette


Guernesey, 22 juillet 1858, jeudi soir, 8 h. ½

Quelle douceur pour moi, mon bien-aimé, au milieu de ma tristesse, d’avoir pu te donner une petite et bienfaisante satisfaction avec ces quelques grains de raisin d’aujourd’hui. Laisse-moi la consolation de t’en envoyer une petite grappe tous les jours. C’est le seul monopole que je puisse réclamer, ne me le refuse pas, mon adoré. Du reste, sois tranquille, cela ne grèvera en rien mon budget puisque je mets ma joie à faire des petites économies de bouche à ton intention. Mon Victor adoré, mon pauvre doux souffrant, j’ai l’âme navrée en songeant qu’il y aura dans une couple d’heure huit jours que je ne t’ai vu, huit jours ! Je n’aurais jamais cru que mon courage aurait pu grandir jusqu’à cette dure réussite d’être huit jours sans te voir, et quand je pense que je ne suis pas au bout, mes yeux se gonflent de larmes et mon pauvre cœur se fond de douleur. Ô mon pauvre bien-aimé, quand donc nous reverrons-nous, quand pourrai-je te rendre ce poignant et doux baiser que tu as laissé sur ma main et qui me brûle jusqu’à l’âme. Ô pour arriver plus vite à ce jour-là je donnerais autant [illis.] de ma vie qu’il y a d’heure encore à passer dans les angoisses et la douleur. Mon Victor, mon bien-aimé tu ne [sauras ?] jamais combien je t’aime et ce que je souffre de ta souffrance et de ton absence. Sois bénia. Je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 160
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « bénis ».

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