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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 décembre [1840], samedi matin, 11 h. ¾

Ainsi, mon cher scélérat, vous profitez du prétexte de REVENIR TOUT DE SUITE pour vous sauver au plus vite de chez moi et voilà comme vous revenez ? En vérité une autre foisa je ne vous écouterai pas et je vous garderai de FORCE auprès de moi. Vous pouvez y compter. Dans quel état est arrivéeb la poupée de Dédé ? Si vous n’avez pas plus soin des femmes en bois et en son que des femmes en os et en sang elle doit être dans un BEL ÉTAT à l’heure qu’il est. Toujours est-il que voilà deux nuits que je rêve de vous et ce matin j’ai crié : qui est là ? Et je me suis levée ayant cru entendre votre bruit mais je me suis refroidie inutilement, personne ne m’a répondu et je me suis recouchée tristement. Aussi ce matin j’ai froid, froid, je peux à peine tenir ma plume dans mes doigts. Taisez-vous brigand et ne me dites pas de faire du feu mais venez m’en donner du vôtre, ce sera plus chaud et plus doux.
La bonne vient de me dire qu’il n’y avait plus d’huile pour la lampe. Il n’y a plus de café depuis longtemps, nous devons le bocal d’huile à manger et je n’ose pas écrire à l’épicier d’envoyer les provisions demain dans la crainte que tu ne puissesc pas me donner d’argent. Mais tout cela m’est égal et je ne t’en parle que parce que tu le veux. L’important est que je te voie, que je te baise et que je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16343, f. 205-206
Transcription de Chantal Brière

a) « autrefois ».
b) « arrivé ».
c) « puisse ».


5 décembre [1840], samedi soir, 3 h. ¾

Vous m’oubliez donc toujours, mon adoré, jour et nuit, matin et soir ? En vérité ça n’est pas trop réchauffant, ni trop régalant, ni trop amusant. Voilà plusieurs jours qu’il fait beau temps et vous ne me faites pas sortir enfin, et sans en excepter le VERROU, je suis votre prisonnière de guerre et de paix car depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre c’est ainsi. Encore si j’avais un préau, une plateforme, un champ, un jardin, un endroit quelconque pour prendre l’air et exercer mes jambes, je ne dirais rien mais n’avoir pour tout exercice que le coin de son feu et d’autre arbre que le tuyau de son poêle et d’autre soleil que sa lampe Carcel [1], ça n’est pas assez pour prendre avec patience vos absences prolongées.
Voyons, mon amour, dites-moi bien sincèrement pourquoi vous ne venez plus vous reposer auprès de moi le matin ? Certainement vous vous couchez toujours un peu ? Vous vous débarbouillez toujours beaucoup et vous déjeunez probablement ? Pourquoi donc ne pas me donner ces quelques moments pendant lesquels vous ne travaillez pas ?
Toto, Toto vous n’êtes pas très gentil pour moi depuis plusieurs jours. C’est d’autant plus mal que je vous aime de toute mon âme et que je n’ai pas d’autre pensée, d’autre besoin, d’autre désir que vous voir, vous voir et toujours vous voir. Je vous aime, mon pauvre bien-aimé, toujours de plus en plus mais viens tout de suite me baiser.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 207-208
Transcription de Chantal Brière
[Souchon, Massin]

Notes

[1L’horloger Bertrand Guillaume Carcel (1750-1812) est l’inventeur d’une lampe dans laquelle l’huile s’élève vers la mèche grâce à un mécanisme de rouages et d’un piston. Cette lampe qui porte son nom sera perfectionnée et commercialisée par ses successeurs.

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