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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 18 juillet 1858, dimanche matin, 7 h.

Bonjour, mon pauvre souffrant adoré, bonjour avec l’espoir que tu as passé une bonne nuit et que tu passeras une bonne journée aujourd’hui, meilleure encore que celle d’hier, que tout le monde dit avoir été très bonne. Je me retiens d’envoyer chez toi trop tôt le matin malgré le besoin ardent que j’ai de savoir de tes chères nouvelles, mais j’ai peur de troubler ton repos ou celui de ta famille à l’heure où le sommeil est le plus calme et le plus rafraîchissant. J’attendrai donc que l’heure normale soit arrivée ! D’ici là, je vais te faire cuire quelques pruneaux dans le cas où tu aurais le goût d’en manger. J’aurai probablement aussi un œuf frais à t’offrir car mes cocottes commencent déjà à s’agitera et à caqueterb comme lorsqu’elles veulent pondre. Je tâche de tromper mon impatience et de donner le change à ma tristesse en m’occupant de tous ces petits comestibles de malades qui te sont destinés, hélas ! pour quelques jours encore, mais cela ne m’empêche pas de sentir le vide profond que ton absence fait dans ma vie et l’insupportable inquiétude qui me tourmente depuis que je t’ai quitté malgré toutes les assurances d’amélioration qu’on me donne de ta santé. Mon Victor, hâte-toi de te guérir, que je puisse t’adorer dans toute la sécurité et la joie de mon âme.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 142
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « agitter ».
b) « caquetter ».


Guernesey, 18 juillet 1858, dimanche midi

Le brave docteur m’apporte lui-même l’assurance d’un grand bien dans ta santé, mon bien-aimé adoré. Il dit qu’à la condition d’une excessive prudence de ta part et de tous ceux qui t’approchent, tu seras en pleine et entière convalescence dans quelques jours. Ô mon adoré bien-aimé, ma vie, ma joie, mon âme, soigne-toi bien, ménage-toi, sois sur tes gardes pour tout ce qui peut retarder ta guérison, c’est-à-dire mon bonheur, c’est-à-dire la fin de l’affreuse torture que j’endure depuis que tu es malade. Soigne-toi, ne te fatigue ni le corps ni l’esprit, ne t’impatiente de rien, pense à moi et guéris-toi bien vite. Moi je ferai de mon mieux pour attendre le moment désiré où je pourrai te voir et t’inonder de baisers. En attendant, je prie, je t’adore et je remplis ma journée de mille petites occupations qui ont toi pour objet. J’ai donné tout à l’heure les pruneaux à Rosalie et un œuf de ce matin ce qui vaut encore mieux que les œufs de ce brave docteur pondus hier. Puis je tiens du bouillon à ta disposition tant que tu en voudras. Je baise tes chers petits pieds endoloris.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 143
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette


Guernesey, 18 juillet 1858, dimanche, 5 h. après-midi

Je viens de voir M. Kesler, mon cher bien-aimé, qui m’assure que ton mieux persiste et progresse toujours, trop lentement au gré de ton impatience et de la nôtre, mon pauvre souffrant, mais il n’en faut pas moins remercier Dieu avec effusion de cœur et toute la reconnaissance de ton âme et de la mienne, mon cher adoré bien-aimé, de ce qu’il nous laisse entrevoir la fin prochaine de ta maladie. Kesler m’a donné des détails sur la manière dont tu es installé dans ton fauteuil compliqué d’un tabouret mis sur champ et complété par une malle raboutée au tabouret. Tout cela est ingénieux, certainement, mais est-ce assez doux pour reposer ta pauvre jambe malade ? Je sais aussi les ouvertures pratiquées dans ton pantalon à pieds pour panser ta jambe et pour faciliter le jeu de ta petite cornemuse en faïence. À ce sujet, je sais que c’est le bon Charles qui t’a donné le lavement. Comment cela s’est-il passé ? A-t-il compris le mécanisme tout de suite et est-il arrivé à ton but du premier coup ? J’ai beaucoup regretté qu’il n’y ait pas eu pour moi une porte de derrière qui me permît de te rendre ce petit service sans bruits et sans embarras. Mais si Charles a triomphé aux honneurs de son inexpérience, tout est bien et je me résigne à ma stupide inaction forcée. Merci, mon adoré, d’avoir pensé à moi dans toutes les douloureuses préoccupations de ta maladie. Je ne profiterai de ta permission que pour prendre un bain demain de deux à quatre heures. Du reste, il me serait impossible de songer à sortir pour quoi que ce soit qui ne t’aurait pas pour objet.
Je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 144
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette


Guernesey, 18 juillet 1858, dimanche soir, 10 h. ¼

Je vais aller me coucher, mon pauvre bien-aimé, avec la presque certitude d’une bonne nuit pour toi si tous les rapports qu’on m’a faits sur l’état de ta santé pendant toute la journée d’aujourd’hui sont aussi exacts et aussi fidèles que je l’espère. Bonsoir mon doux martyr, bonsoir mon ineffable bien-aimé, endors-toi au murmure de ma prière et sous le souffle de mes baisers. Mon âme veillera près de toi pour écarter tous les mauvais rêves de ton sommeil et toutes les douleurs de ton corps. J’ai vu ce soir tous les Préveraud qui sont unanimes sur le mieux que tu ressens. J’ai vu les Marquand et Mlle Allix tous célébrant à qui mieux mieux ton prochain rétablissement. Quant à moi, je ne serai vraiment tranquille et heureuse que lorsque je t’aurai vu de mes yeux et touché de mes lèvres et pénétré de part en part de mon âme. Jusque là, je garde malgré moi une secrète et douloureuse inquiétude. Cher adoré, sois bien prudent, ménage-toi, soigne-toi, pense à moi, plains-moi et aime-moi. Mlle Loisel voulait que j’allasse dîner aujourd’hui chez elle mais je l’ai refusé presque avec horreur. La pensée de prendre une distraction quand tu souffres me paraît chose si énorme que je ne comprends pas qu’on me le propose. Les Marquand de leur côté veulent absolument me faire sortir le soir mais je les ai également refusés. J’irai peut-être demain prendre un bain, si tu continues toujours d’aller mieux. En attendant, je baise ta chère petite jambe malade et je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 145
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

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