22 avril [1840], mercredi matin, 8 h. ½
Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, comment vas-tu ? Tu ne t’es peut-être pas couché cette nuit, mon pauvre adoré, et tu dois être sur les dents ? Mais plus tu travailles plus tu te fatiguesa et plus tu es jeune, beau et charmant. Ceci est un phénomène beaucoup plus extraordinaire que celui de la grotte d’azur dans les cachots de Chillon [1]. Vous êtes mon Toto adoré, vous êtes mon amour. Voici Julie qui m’apporte du pain d’épice et qui me prie de lui prêter encore le petit machin : – « Vous savez ? pour finir de l’apprendre. Oh ! Madame je vous aime, j’aime bien Meussieu aussi. Comment qui se porte ce matin ? Oh ! ma petit dame je vous aime, prêtez-moi la petit chose que je finisse de l’apprendre. Tenez je le sais déjà un peu, j’y ai pensé cette nuit. UN MORCEAU DE PAIN NOIR ESSAYEZ dans nos fanges. » [2] Sur cette preuve, non équivoque, de mémoire je lui livre le petit MACHIN et la voilà mordant tour à tour dans son pain d’épice et dans votre admirable poésie qui, semblable à ce beau raisin muscat, désaltère et nourritc tout à la fois l’intelligence. Donne-moi tes nobles mains que je les baise en signe de respect et d’adoration. Donne-moi ta belle bouche que je m’y fonde en amour et en extase. Je t’aime mon Toto chéri. Je t’aime mon amour. J’espère que cette nuit tu auras fini ton travail et que tu pourras te reposer dans mes bras. Je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16342, f. 65-66
Transcription de Chantal Brière
a) « fatigue ».
b) « petit ».
c) « nourit ».
22 avril [1840], mercredi soir, 6 h.
Vous ne venez pas beaucoup, mon Toto, et vous restez très peu à la fois ce qui constitue un chétif bonheur pour une pauvre Juju amoureuse comme je le suis de vous. Je viens de collationner la copie de Claire qui est encore moins lisible que la mienne, peut-être même ne pourra-t-on pas s’en servir, enfin c’est le seul plaisir que nous lui auronsa donné pendant ses vacances. Il ne faut donc pas être très difficile. Le bottier a apporté tes bottes ce matin, il doit apporter tes brodequins ces jours-ci et tes souliers en dernier. Moi j’ai acheté du charbon ce matin et je crois que j’ai une reconnaissance de 90 f. à renouvelerb après-demain. Je vais m’en assurer tout à l’heure et dans le cas où je ne me tromperais pas je la donnerais tout de suite à Lanvin pour lui épargner la peinec de revenir. Dites donc, Toto, vous avez eu un étonnement un peu impertinent sur mon érudition, hier au soir, je vous prie dorénavant de ne pas m’applaudir de cette façon, ce n’est pas une raison parce qu’on est modeste et savante d’être huée par un homme qui n’est même pas de l’Académie. Empochez cela, vieux bêtad, et aimez-moi mon amour car je vous aime de toutes mes forces, de tout mon cœur et de toute mon âme. Si vous étiez bien i vous viendriez cette nuit, Claire s’en va demain matin et n’a pas besoin de moi pour cela. Ainsi je suis toute à toi et sans la moindre contrainte et je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16342, f. 67-68
Transcription de Chantal Brière
a) « auront ».
b) « renouveller ».
c) « peigne ».
d) « bêtat ».