Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1840 > Novembre > 9

9 novembre [1840], lundi après-midi, 2 h.

La nécessité de profiter des fers chauds pour un petit repassage que j’avais à faire, mon bon petit homme, fait que je ne t’ai pas écrit tout de suite après ton départ. Je suis triste, mon cher bien-aimé, mais c’est de l’amour, je suis jalouse mais c’est de l’amour, je suis affreusement négligée dans ma personne et dans ma toilette mais c’est encore de l’amour, et du plus pur et du plus raffinéa, car c’est pour économiser quelques sous dans ma maison, c’est-à-dire quelques heures de sommeil et de repos pour tes pauvres beaux yeux que je suis comme une souillon au lieu d’être tirée à quatre épingles et frisée et parfumée comme je le devrais. J’ai des moments de doute et d’angoisses qui viennent de l’excès de mon amour, de ta beauté et de ta supériorité. Ce n’est pas une fadaise ni un compliment en l’air que je te fais, mon adoré, c’est la profonde et sainte vérité. Tu es aussi beau de figure que grand et sublime d’intelligence, aussi quand je fais un retour sur moi je ne peux pas m’empêcher de trembler pour mon bonheur. Les trois quarts du temps je n’ose même pas te parler de mes craintes ni de mon amour tant je me trouve ridicule et au-dessous de la profonde adoration que tu m’inspires. Je ne sais pas comment on peut être aussi vulgaire et aussi bête que je le suis et t’aimer d’un amour d’ange comme je le fais. Ces deux phénomènes m’étonnent moi-même et je ne les comprends pas mais telle que je suis, mon bien-aimé, avec mes contrastes absurdes, aime-moi si tu ne veux pas que je meure. Ma vie est dans ton regard, dans ton souffle, dans ton âme. Si tu me trompais je mourrais bien sûr, sans fiction aucune car je t’aime sans aucune réserve, avec une entière abnégation de toute autre affection ou de tout autre intérêt. Je t’aime qu’on vous dit. Baise-moi, tu ne me trompes pas bien sûr ? Et tu m’aimes comme le premier jour ? Eh bien moi c’est toujours plus que le premier jour quoique je t’aimasse le premier jour déjà plus que tout au monde.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 145-146
Transcription de Chantal Brière

a) « rafiné ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne