Paris, 2 juin [18]74, mardi soir, 5 h. ½
J’ai tenu à préparer moi-même ton a giorno [1] de ce soir et j’espère avoir réussi. Si je me trompe, sois indulgent, car je me sens reprise d’une tristesse indicible qui ne demande qu’à se tourner en chagrin. Je n’ai pas su le moment où tu es sorti, c’est pourquoi j’ai envoyé chez toi quand le tapissier est venu chercher le veloursa de ton fauteuil. Il reviendra demain. J’ai payé ta corbeille dorée, mais j’ai dû prendre pour achever de payer la facture de la ménagère vingt francs sur l’argent de tes chaises. Je n’avais pas prévu, quand tu m’as donné de l’argent hier, 10 francs 20 centimes de bougieb et 8 francs 40 de bobèche [2], plus cinq francs de denier à Dieu donné à la nouvelle cuisinière que j’ai arrêtée tout à l’heure en désespoir de former jamais la pauvre stupide gâte-sauce qui me fait damner depuis quinze jours. Celle-ci du moins possède en théorie toute la science ès gueule et peut-être aussi la pratique, quoiqu’elle l’affirme, ce qui ne prouve rien. Elle entrerait le mercredi 17 courant, ce qui permettrait à la pauvre Annette de finir son mois et peut-être encore de trouver une place digne de son ignorance. Hélas ! Quel pauvre gribouillis et comme cela doit te monter l’imagination ! Heureusement que tu as de quoi te satisfaire du reste avec les déclarations poirotées [3] de tes nombreuses bonnes fortunes.
BnF, Mss, NAF 16395, f. 97
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette
a) « velour ».
b) « boujie ».