Bruxelles, 15 mai 1852, samedi matin, 8 h.
Bonjour mon Toto, bonjour mon doux adoré, bonjour et bonheur. Comment vas-tu mon cher petit homme ? As tu passé une meilleure et plus longue nuit que les précédentes ? Votre belle nocturne vous a-t-elle fait de nouvelles provocations ? Vous me direz cela tantôt si vous êtes sincère. D’ici là tâchez d’être très réservé au vis à vis du SEXE car je veille et je garde mes armes. Je suis déjà en peine de savoir à quelle heure vous viendrez et si vous dînerez chez Dumas ? Le compte fait je vous aurai à peine vu cette semaine. Les excursions, les Deschanel [1], les mouchards et le RESTE absorbant tout votre temps. Cependant, mon petit homme, vous savez que ce sont les derniers jours de presque liberté qui nous restent dans ce pays-ci. Si nous n’en profitons pas pour être heureux ensemble, Dieu sait quand nous en aurons d’autres. Il m’est bien difficile de ne pas réclamer en voyant combien tu te laisses envahir par toutes sortes de choses étrangères à notre amour. Je ne pousse pas l’obligation de moi-même jusqu’à préférer le plaisir et la vanité du premier venu à mon bonheur personnel !
Ça n’est peut-être pas très généreux mais c’est très NATUREL. Aussi je compte vous tourmenter beaucoup pour que vous me donniez tout le temps en dehors de votre travail et de votre Charlot. Nous verrons si je réussirai dans mon entreprise. En attendant je vous aime, mon petit homme et je vous prie d’avoir bien soin de vous parce que vous êtes ma joie et ma vie, mon bonheur et mon amour adoré.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16371, f. 31-32
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
Bruxelles, 15 mai 1852, samedi matin, 11 h. ½
Il n’y a pas de jour où je ne regrette de ne pas connaître ta petite chambre et les meubles qui t’entourent pour que ma pensée te voita plus nettement dans ton intérieur et dans tes habitudes. Je voudrais savoir où tu t’assieds, sur quoi tu travailles, où erre ta vue, enfin, je voudrais être aussi près de toi par la pensée que par le cœur tant le besoin de ta présence est nécessaire à ma vie. Voici Suzanne qui revient de chez toi. Je sais que tu as passé une bonne nuit et j’en suis bien heureuse, mais tu as oublié de lui dire si tu espérais pouvoir venir de bonne heure. Une contrariété assez vive et qu’il était difficile d’empêcher est le déficit dans les assiettes qu’on porte et qu’on rapporte chez toi. Il en manque quatre ; tes tabatières prétendent ne pas les avoir, Suzanne affirme n’en n’avoir pas cassé et Mme Luthereau réclame ses quatre assiettes. Je les remplacerai, mais il est très désagréable de ne savoir qui accuser ou de la probité de tes tabatières ou de l’adresse et de la sincérité de Suzanne. Quant à moi, je rage dans ma peau de ne pas pouvoir tout faire moi-même. Voilà tout ce que je peux faire, les choses étant arrangées de cette façon. Pour compensation je voudrais bien que tu viennes de bonne heure, si non pour sortir, pour veiller auprès de moi. Je me suis dépêchée de faire toutes mes affaires pour être plus tôt prête à copier. Aussi, dès que j’aurai fini de déjeuner, je m’y mettrai de tout cœur. Je suis impatiente de voir paraître cet admirable livre [2] pour l’effet prodigieux et foudroyant qu’il fera dans tous les esprits et dans toutes les consciences. Jamais tu n’as rien écrit de plus beau et de plus terrible. Les mots manquent [illis.] admiration. Je ne sais que t’aimer de toute mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16371, f. 33-34
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
a) « voie ».