Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1852 > Février > 14

Bruxelles, 14 février 1852, samedi matin, 8 h. ½

Bonjour mon tant doux adoré, bonjour. Comment vous trouvez-vous de mes argiraspides [1] ? Ah ! Filou que vous êtes, vous ne vous contentez pas de me voler mon âme, vous me coupez encore la bourse. C’est bien je veillerai sur vous et sur vos brelans carrés que je crois [me notifie  ?] en plein Athènes. En attendant vous vous gobergez dans mes cuivres et vous riez de mon infortune mais l’heure de la vengeance sonnera bientôt, soyez tranquille.
Il faut pourtant que tu reçoives une lettre de chez toi, mon pauvre bien-aimé, autrement cela ne s’expliquerait même pas par l’indisposition de ton fils ni d’aucun des membres de ta chère famille. Il est impossible que ce silence inusité aille au-delà d’aujourd’hui sans te paraître au moins aussi étrange qu’à moi.
Cher petit homme, ce n’est pas ta loyauté que je suspecte parce que je sais bien que tu ne peux, que tu ne veux plus me tromper, mais tu dois être comme moi étonné de ce retard prolongé. Je ne veux pourtant pas te tourmenter mon doux adoré bien-aimé et j’espère que d’ici à une heure tu recevras une bonne lettre bien rassurante qui t’expliquera tout. Dans ce cas-là, mon bon petit homme, tu serais bien gentil de venir me le dire après ton déjeuner ou si cela te dérange trop de me le faire savoir par Suzanne sans autre explication. Enfin, tu feras pour le mieux, j’en suis bien sûre et je t’en remercie d’avance avec tout mon cœur.
Tu ne m’as rien dit sur tes projets d’aujourd’hui, mon Victor. Je suppose que tu feras des visites et surtout une certaine visite que la pudeur m’empêche de nommer par son nom. Je m’en rapporte à toi, mon cher petit homme, pour en revenir comme tu y seras allé. Pour cela je t’ai envoyé hier un caleçona de sûreté avec triple rangée de boutons. Nous verrons si cette audacieuse péronnelle aura eu le front de le crocheter. En attendant tenez bien votre vertu à deux mains et votre fidélité sous clef si vous ne voulez pas être dévalisé de tout par cette roulottière de la syntaxe et du dévergondage [2]. Et puis baisez-moi si vous voulez, je ne demande pas mieux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 95-96
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « calçon ».


Bruxelles, 14 février 1852, samedi après-midi, 3 h. ½

Je ne me plains pas mon Victor, mais es-tu bien sûr vraiment que tu n’aurais pas pu venir me dire un petit bonjour tout en allant à tes visites ? Si tu le crois je n’ai rien à dire qu’à me résigner et à attendre patiemment jusqu’à ce soir pour remplir mes yeux, mon cœur et mon âme de toi. Je te fais souvenir, mon Victor, que d’ici à mercredi, qui ne compte pas puisque tu t’en vas le matin, il n’y a que trois jours et que si tu ne prends pas sur toi de m’en donner un pour aller ensemble chez les Yvan il en sera de ce projet comme de tous ceux que tu as faits et dans lesquels tu me faisais la part de bonheur si grosse. Cependant je ne veux rien t’imposer, plutôt la prison cellulaire, plutôt la mort que de t’imposer quoi que ce soit. Car autant je suis heureuse de toutes les marques d’amour que tu me donnes volontairement autant je serais humiliée et désespérée de rien devoir à l’impatience et à la pitié. Ainsi, mon Victor, si tu peux venir avec moi chez ces braves gens j’en serai très contente. Si tu ne le peux pas, je me résignerai, comprenant que tu as fait ce qui te convenait le mieux.
Mon Dieu, est-ce possible que tu n’aies pas de lettre de Paris ? C’est si extraordinaire que cela me paraît impossible. Pourtant il faut bien que ce soit puisque tu me le dis. Il faudra bien un jour ou l’autre que cette chose s’explique. D’ici là, mon bon petit homme, il serait bien raisonnable de tâcher de ravoir cette argenterie sans bourse déliée ou tout au moins de la faire retourner sur Paris sans plus attendre car tu sais qu’il y a des frais d’emmagasinage et de responsabilité assez considérables. Je t’en prie, mon Victor, si tu as un moment en lisant cette lettre, écris tout de suite au directeur de la douane pour lui demander cette faveur pour Suzanne Blanchard dont l’argenterie se montait en tout à [illis.] Neuf pièces ont été saisies à Quiévrain le 27 décembre dernier. Tu nous rendras un véritable service de quelque façon que ce Mr le prenne. Le stupide c’est de laisser là cette argenterie et de s’exposer à la perdre.
Voilà mon pauvre amour et puis baise-moi. Je t’aime et je ne me sens pas triste malgré le désir que j’en aie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 97-98
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Argiraspide ou argyraspide : « Soldat d’un corps d’élite de l’armée d’Alexandre, ainsi appelé en raison du bouclier d’argent dont chacun était armé. » (TLF) Ils ont manifestement joué la veille au soir à un jeu de société (vraisemblablement le mistigris, dont le brelan carré est une figure, et dont elle parle à plusieurs reprises à cette époque).

[2À identifier.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne