Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1852 > Avril > 27

Bruxelles, 27 avril 1852, mardi matin, 8 h.

Bonjour, mon bon petit homme, bonjour je vous aime avant d’avoir encore les yeux bien ouverts. Il est vrai que je vous aime les yeux fermés et à travers mon sommeil le plus épais. Comment vas-tu, mon petit homme ? Tu dors encore probablement, ce dont je te félicite car le temps est aigre et maussade ce matin comme une vieille pomme cueillie avant la maturité. Quant à moi, mon petit homme, il m’est impossible de rester au lit tard. C’est une habitude que j’ai prise depuis que tu as perdua celle de déjeuner avec moi le matin. Aussi quand vientb 11 h. du soir en été je me sens prise de somnolence à laquelle j’ai beaucoup de peine à résister pendant les premières minutes. Mais une fois ce premier sommeil passé j’ai toutes les peines du monde à me rendormir. C’est ce qui m’arrive presque tous les jours quand tu es parti. Le mieux serait que nos habitudes de sommeil concordassent ensemble de manière à ce que nous soyons éveillés en même temps. Du reste ce désaccord dans nos heures n’a pas d’autre inconvénient que de me faire roupiller quelque peu le soir entre onze heures et minuit. À la distance où nous vivons l’un de l’autre nous ne pouvons guère nous gêner. Cela n’empêche pas que je ferai tous mes efforts pour vaincre cette stupide envie de dormir qui me prive de te voir autant que je le désire tout le temps que tu es avec moi. Ce soir je suis résolue à tenir mes yeux ouverts à deux mains plutôt que de leur permettre le moindre petit clignotementc. Jusque-là, mon petit Toto bien-aimé, je vous aime à cœur ouvert et je vous attends de même.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 343-344
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « perdue ».
b) « viens ».
c) « clignottement ».


Bruxelles, 27 avril 1852, mardi après-midi, 2 h.

Le soleil de mon âme est voilé comme celui du bon Dieu, aussi il fait triste au-dedans et au-dehors de moi, mon petit bien-aimé. Est-ce que tu ne viendras pas réchauffer et illuminer un peu mon horizon ? Je sais que tu travailles, je sais que tu n’es jamais longtemps seul mais est-ce que tu ne pourrais pas brûler un peu la politesse à quelques-uns de tes visiteurs et venir transporter ton travail ici ? Il me semble que ce serait facile si tu le voulais. Cependant puisque tu ne le fais pas il faut qu’il y ait des empêchements qui te paraissent plus sérieux que le désir de mon cœur, que la joie de mes yeux, que le bonheur de mon âme. Je m’y soumets en murmurant : bis, ter et reter.
Comme c’est adroit de t’écrire des actualités que tu ne liras que lorsqu’elles seront de vieilles rabâcheries rétrospectives. C’est un ridicule dans lequel je tombe tous les jours sans m’en apercevoir que lorsqu’il n’est plus temps. Après cela mes doléances ont cela de mauvais qu’elles se reproduisent tous les jours aux mêmes heures et dans les mêmes conditions. Tu es donc toujours à temps d’y apporter remède. Il suffit pour cela que tu te souviennesa le matin de mes jérémiades du soir et que tu aies le généreux courage de venir t’ennuyer auprès de moi pour mon propre plaisir. Du reste tu n’y es pas forcé. J’aime encore mieux mon isolement si tu m’aimes de loin que ta présence si elle me fait prendre en grippe. Avec cela que c’est la saison. Taisez-vous monstre d’homme et venez le plus tôt que vous pourrez. Je vous attends toute flamme dehors.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 345-346
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « souvienne ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne