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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 26 avril 1852, lundi matin, 7 h ½

Bonjour, mon Victor, bonjour, mon bien-aimé, avec tout mon cœur et toute mon âme. Je t’ai à peine vu hier grâce à toutes sortes de malentendusa et de guignonsb et du dîner de Dumas. Je le regrette amèrement en pensant que nous n’avons plus que quelques jours à jouir de cette espèce de demi liberté que nous crée notre situation actuelle. Plus tard tu t’appartiendras encore moins et je ne te verrai presque plus trop probablement. Aussi toutes les minutes qui se perdent de ton temps si précieux sans profit pour moi c’est un grand crève-cœur. Ce n’est pas que je veuille t’empêcher de dîner chez Dumas et d’y passer tes soirées puisque ta santé aurait tout à gagner à son ordinaire et que son esprit t’amuse mais il m’est difficile d’admettre que tu te trouveras impunément et sans danger pour mon amour avec des femmes plus ou moins provocantes. D’après tes propres aveux, mon pauvre bien-aimé, il y a deux êtres dans l’homme, un homme et un satyre. L’homme est presque toujours vaincu par le satyre dans la lutte des sens et de la continence. Tu me l’as dit dans un moment de douloureuse franchise, je ne l’ai pas oublié. Aussi il m’est impossible d’accepter tranquillement un nouvel arrangement de ton existence. Cependant si ta santé et ton plaisir en dépendent tout à fait je me résignerais à vivre dans cette perpétuelle inquiétude. En somme il est plus naturel que ce soit moi qui fasse le sacrifice de ma sécurité que t’imposer à toi le moindre ennui ou la moindre contrainte. Va donc, mon pauvre bien-aimé, nourris-toi bien, amuse-toi bien et ne résiste pas aux instances de Dumas qui met son honneur et son bonheur à cumuler l’état de gargotierc littéraire et de cordon bleu de restaurateur dramatique et de pourvoyeur de toutes sortes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 339-340
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « malentendu ».
b) « guignon ».
c) « gargottier ».


Bruxelles, 26 avril 1852, lundi, midi.

Tu vas bien j’espère quoique Suzanne n’ait pas pu s’en assurer à cause de la présence d’un visiteur. Je ne sais pas davantage si tu viendras aujourd’hui et à quelle heure tu viendras. Tout ce dont je suis sûre c’est que je t’aime trop et que je te désire de même. Cela n’est pas neuf et encore moins consolant pour me sauver de l’espèce de lourde tristesse qui pèse sur moi depuis hier. Je vais me réfugier dans ton manuscrit, c’est pour moi la vraie panacée. J’oublie en te copiant tous les maux de mon corps et de mon cœur, c’est-à-dire ton absence. Il ne faut pas pourtant que tu te fies entièrement sur elle et que tu te crois dispensé de rien y ajouter car alors le remède deviendrait bientôt aussi pire que le mal. Vois-tu, mon pauvre petit homme, je n’ai pas seulement besoin de te voir pour le plaisir de mes yeux et la joie de mon âme, j’en ai besoin pour respirer et pour vivre. Il me semble quand tu n’es pas là que l’air et la vie me manquent, c’est à ce point qu’au bout d’une longue journée d’attente j’éprouve des étouffements qui vont presque jusqu’à la suffocation. Ce n’est pas une exagération, mon cher petit homme, c’est la vraie vérité. C’est pourquoi je te supplie avec tant d’insistance de me donner tous les petits moments dont tu n’as pas absolument besoin pour ton travail, pour ton bonheur et pour ta santé. Tâche d’en détacher quelques-uns pour moi aujourd’hui et viens me les apporter le plus tôt possible.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 341-342
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

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