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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 18 janvier 1852, dimanche matin, 8 h. ¼

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, comment avez-vous passé la nuit dans votre colonie de punaises ? Est-ce que vous avez pu dormir ? Quant à moi, je me suis assez mal trouvée de votre absence et le peu de sommeil que j’ai eu a été très agité. D’abord je me suis tourmentée de vous savoir sans verroua dans cette espèce de maison ouverte à tout venant. Dès que vous n’êtes plus avec moi il me semble que tous les dangers vous menacent et je crois tous les malheurs possibles. Aussi puisqu’il faut absolument que nous nous séparions et que nos nuits soient divisées et partagées entre le respect humain et le bonheur, je veux, j’exige, que tu aies au plus tôt un bon verrou intérieur. Cela te forcera à te relever pour ouvrir à Suzanne mais au moins tu seras plus en sûreté et je serai plus tranquille. Demain je m’informerai si le bonhomme qui doit le poser est sûr et je l’enverrai tout de suite chez toi. Je m’étais déjà si complètementb habituée au bonheur de te sentir auprès de moi que je t’ai cherché toute la nuit même en rêve. Toi pendant ce temps-là tu reprenais possession de toi-même et tu te reposais de mes caresses et de mes importunes tendresses. Je suis sûre que tu auras dormi tout d’un trait heureux de ta solitude et même de tes passantes qui ne t’auront pas empêché de dormir. Si tu es sincère tu me diras oui et loin de t’en vouloir je t’en féliciterai car ce que je veux, ce que je désire, ce qu’il me faut de loin comme de près c’est ton bonheur et ta santé ! Le RESTE arrive quand il peut et quand il te plaît mais je n’en fais pas une condition de vie ou de mort. Je sais que je t’aime trop, mon Victor adoré, mais j’ai la raison de ne pas exiger de toi cette excessive réciprocité pourvu que tu n’aimes que moi et que tu me sois bien fidèle je suis heureuse et je remercie le bon Dieu. Mon Victor adoré je t’aime va. J’avais envie d’aller tout à l’heure chez toi à la place de Suzanne mais j’ai craint de scandaliser ton BOOZ [1] et je suis restée mais ce n’est pas sans regret.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 23-24
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « verroux »
b) « complettement »


Bruxelles, 18 janvier 1852, dimanche matin, 11 h. ½>

Où êtes-vous, mon cher petit fugitif ? Depuis ce matin mon âme est en quête de vous, elle fouille les baignoires, les ruelles, les rues, les maisons, les cafés, les lits, les femmes, les filles sans pouvoir vous saisir en flagrant délit de quelque chose. Cependant vous avez dû commettre plus d’une mauvaise action depuis ce matin et il faut que les verres de ma seconde vue soient bien troubles pour ne pas vous avoir [aperçu  ?] dans quelques-unes des occupations coupables déjà désignées. Mais comme je ne me lasserai pas dans mes recherches je finirai par vous trouver SOILLIEZ tranquille et mangez votre chocolat paisiblement.
Tout à l’heure Suzanne ira chez toi achever ton ménage mais si tu ne trouves pas moyen de venir avant 3 h me voir toute ma journée se passera dans la solitude et dans la tristesse car tu as rendez-vous avec Schoelcher m’as-tu dit ? Hier je t’ai à peine entrevu, hélas ! Je sais bien que tu ne peux pas passer ta vie entièrement avec moi mais je trouve que tu te dépêches peut-être un peu trop de prendre les devants. L’arrivée de Charles [2] n’est pas tellement éloignée que tu n’aies pas pu attendre jusque-là pour me laisser à mon isolement. Cher petit homme, je suis égoïste et injuste, je suis bête et méchante tout cela parce que je t’aime trop car au fond je sais que tu me donnes tout le temps que tu peux et je t’en suis bien tendrement reconnaissante. Va à tes affaires et donne-toi à tes devoirs et à tes amis, mon doux adoré, pourvu que tu m’aimes je suis heureuse et j’attendrai avec courage et avec patience les moments de liberté dont tu pourras disposer pour moi. Ne t’inquiète pas de ma santé, ne te fais pas une préoccupation de mon humeur. Si tu m’aimes je me porte bien et je te souris. J’ai de quoi d’ailleurs me faire trouver le temps moins long. J’ai à copier et je vais m’y mettre tout à l’heure. D’ici là, je vous aime, je vous baise en pensée et je vous adore dans l’âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 25-26
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Le poème « Booz endormi » n’est publié dans La Légende des siècles qu’en 1859.

[2Charles rejoindra son père à Bruxelles le 3 février 1852.

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