21 décembre [1841], mardi soir, 7 h. ¾
Vous êtes content, affreux bonhomme, n’est-ce pas, de m’avoir fait casser les jambes et de m’avoir bien taquinéea comme un Jacquot ? Une autre fois je vous réchaufferai les pieds aussi, allez, soyez tranquille. Ô Dieu, en parlant de pieds, j’aurais bien besoin de quelqu’un pour me les réchauffer dans ce moment-ci car je ne les sens plus. Je ne me suis pas encore approchée du feu mais aussi j’ai une onglée soignée. J’ai toujours trente-six tours à faire DANS MON MÉNAGE, ce qui me tient toujours trois ou quatre bonnes heures en l’air. Cela vous étonne, gros garçon, mais c’est comme ça. Ce soir, j’ai écrit à Mlle Hureau et à ma fille, c’est encore du temps de perdu. Tout cela me serait égal si c’était le jour mais dès que vient la nuit, je ne sais plus ni me bouger ni rien faire de bon. C’est ce qui cause mon désespoir quand je vous vois flâner PAR MÉCHANCETÉ dans le lit jusqu’à la nuit. Vous êtes un monstre, mais un monstre que j’aime et que j’adore, un monstre charmant enfin. Baisez-moi, scélérat, je vous pardonne.
Dites donc, à propos de pardon, il me semble que vous mettez bien des chemises BLANCHES depuis hier et bien des caleçonsb blancs ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Prenez garde que je ne découvre quelque affreux pot aux roses car alors, vous ne seriez pas comme vos chemises blanches, BLANC [1]. Je vous houspillerais d’une jolie façon et je ne vous laisserais pas cheveux sur cheveux ni nez sur pattes, je vous en flanquerais une, de volée, dont vous vous souviendriez toute votre vie. Où êtes-vous, monstre, que faites-vous et qui TRAHISSEZ-VOUS [2] ? Je voudrais bien voir votre chien de museau et sortir un peu avec vous sous prétexte de VOIR LES BOUTIQUES [3]. Vous seriez bien gentil si vous veniez me chercher ce soir, hélas ! je n’y compte pas et je fais bien car vous n’êtes pas homme à persévérer dans les bonnes habitudes de la semaine dernière. Me voilà BOUCLÉE au moins jusqu’à l’année prochaine, trop heureuse si je peux agripper par ci par là quelques petits moments de bonheur à DOMICILE. Baisez-moi, je vous aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 233-234
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « taquiné ».
b) « calçons ».