Paris, 10 février 1881, jeudi matin, 8 h.
Cher bien-aimé, je t’ai laissé en bon train de dormir, aussi t’ai-je embrassé tout bas pour ne pas te réveiller et je suis venue ici achever mon bonjour et répandre sur ce petit papier le trop plein de mon cœur. Je suis heureuse, doublement, quand je peux commencer ma journée par ma chère petite restitus et lui donner ainsi le pas sur toutes mes autres occupations quotidiennes, ce qui ne m’est pas toujours possible. Enfin, puisque je le peux aujourd’hui, j’en profite à cœur joie en attendant l’heure où je pourrai te dire de visu et d’auditu tout ce que je pense dans mon for intérieur, à commencer par le mot : je t’aime ! et finissant par celui : je t’adore !
« Mais je te préviens que tu as Sénat, le contraire de la marche guerrière » du Bonhomme Durand [1]. Tantôt à deux heures, réunion dans les bureaux, à trois heures séance publique. Parmi les choses qui se traiteronta, il y a la dernière : projet de loi de Jules Favre sur les tutelles. Je te le signale d’office dans le cas où cela t’intéresserait plus particulièrement.
Le temps, très mauvais hier, est hideux aujourd’hui. Mais qu’importe si tu te portes bien et si tu m’aimes. Ta santé c’est ma vie, ton amour c’est mon soleil, ma joie c’est ton sourire, mon bonheur c’est de t’aimer. Donc tout est bien et je remercie Dieu en te bénissant.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16402, f. 22
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
a) « traiterons ».