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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 octobre [1841], mercredi soir, 5 h. ¾

Merci, mon Toto, merci mon doux et bien ravissant Toto, merci. Mon petit sabot est ravissant. Bien entendu qu’aussitôt pris, aussitôt pendu, ma poudre fait sa poussière dedans depuis tantôt. Cela va très bien et fait surtout ressortir ton ineffable et inépuisable bonté, tu es mon pauvre bien-aimé que j’aime et que j’adore.
Je voulais copier tantôt dès que tu as été parti, mais l’effroyable malpropreté de ma tête ne l’a pas permis. Il y avait plus de quatre jours que je ne m’étais peignée, je ne pouvais pas attendre plus longtemps. Voici du reste un mot de ma servarde à ce sujet : − Oh ! madame, vos cheveux sont propres et BLANCS comme tout [1] ! Que dites-vous de ce compliment ? Si on vous le faisait, eh bien tu ne serais pas content, tu ne serais pas content. Moi, j’avale tout ça avec une douceur et une résignation angélique, ia ia monsire matame. Ce que je n’avale pas aussi bien, ce sont vos accidents, on ne peut pas dire que je demande PLAIE et bosse car rien ne m’est plus suspect et plus désagréable que ce genre de BLESSURE. Je vous prie de ne pas m’en apporter d’autre si vous ne voulez pas que je PENSE toutes sortes de choses autres que le malade.
Calemboura et rébus à part, je vous prie d’être SAIN SAUF à ne faire de niche qu’à moi. Baisez-moi, scélérat. Si vous comprenez un seul mot à tout ce que je viens de gribouiller, je veux bien que la croque me crique [2]. C’est tout ce que je peux faire que d’en déchiffrer ceci. Je ne veux pas que vous me soyez infidèle ou je vous tords le cou comme à un [mognot ?]. Tenez-vous le pour dit si vous tenez à votre vie. Baise-moi, vilain monstre, baise-moi, tu n’es qu’affreux monstre, le plus vil des hommes décidément. Donne ta chère petite patte blanche que je la baise du bout des dents pour t’apprendre à user toute ma pâte d’amande.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 37-38
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « calembourg ».


20 octobre [1841], mercredi soir, 6 h.

Si je vous avais écrit hier au soir, mon amour, je vous aurais dit que vous étiez mon pauvre bien-aimé que j’aime de toute mon âme. Aujourd’hui, je vous dis que vous êtes mon Toto ravissant que je baise et que j’adore, voilà la différence. Si elle vous contrarie, j’en suis fâchée, mais vous savez le proverbe : les jours se suivent et ne se ressemblent pas, ça n’est pas comme l’amour de la vieille Juju.
Il me semble qu’il y a bientôt plus de trois mois que je ne vous ai vu, est-ce que vous ne songez pas à revenir bientôt à la maison, mon petit homme ? Vous avez, outre mes bras, un bouillon qui vous tend les siens et qui se fige de désespoir en vous attendant. Moi, je ne pourrai pas dîner de bon appétit si je ne vous ai pas embrassé vingt-deux mille fois au moins auparavant de commencer. Vous seriez bien adorable et bien adoré si vous songiez à revenir auprès de moi tout de suite.
Dès que j’aurai dînéa je me mettrai à copier dare-dareb jusqu’à deux heures du matin, à moins que vous ne veniez me prendre pour faire un tour de boulevard, ce qui passe avant tout, même avant la COPIE. Être avec vous, vous voir, vous entendre et vous respirer, c’est plus que de la joie, c’est du bonheur, c’est le paradis et je donnerais une année de ma vie par chaque minute que je passerais avec toi. C’est bien vrai du fond de l’âme, mon adoré, je t’aime, moi. Ne sois pas longtemps, mon Toto, je t’attends de toute l’impatience de mon amour. Ah ! voici la sonnette de l’allée, si c’était toi… hélas !! non, mais j’espère que tu ne tarderas pas. Mon petit sabot est ravissant, surtout donné par toi. Je suis charmée que la servarde ne l’ait pas trouvé ce matin, je ne l’aurais pas trouvé la moitié aussi joli. Maintenant, je le trouve ravissant de toute la grâce et de toute la délicieuse bonté dont tu es capable chaque fois que l’occasion s’en présente. Baise-moi, je t’aime. Baise-moi, je t’adore. Baise-moi encore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 39-40
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « dîner ».
b) « dar dar ».

Notes

[1Juliette a beaucoup de cheveux blancs et elle passe parfois des heures à les chercher et à les arracher méthodiquement pour dissimuler ces marques de vieillissement (voir par exemple les lettres du 2 février, du 5 août et du 5 novembre 1841).

[2Jeu sur « le grand cric me croque » : familier, « que le diable m’emporte ».

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