10 octobre [1841], dimanche soir, 4 h. ½
C’est bien vrai, mon adoré, que tu es la douceur, la bonté, la joie et le bonheur même. Aussi, dès que tu es parti je ne sais plus que devenir, je n’ai plus personne à bougonner, à battre, à admirer et à aimer. Je ne sais plus où j’en AI. Mon adoré bien-aimé, pense à moi partout où tu es, aime-moi et reviens bien vite.
Tu as joliment bien fait de me donner à copier et je vais joliment m’en lécher les barbes tout à l’heure et sans être dérangée, car il est peu probable que la mère Pierceau vienne de ce temps-ci [1]. D’ailleurs, il est déjà tard. J’ai donné permission à la Suzanne d’aller voir sa tante ce soir, je serai donc seule, tout à fait seule avec votre pensée et avec votre esprit. Ça n’est déjà pas si bête et j’ai presquea envie de vous pardonner si vous êtes à Saint-Prix et de vous désirer du soleil, à la condition que vous reviendrez demain matin de bonne heure [2]. Vous savez que vous me devez toujours ma sortie car, vieux filou que vous êtes, vous saviez très bien à l’avance que je ne pouvais pas profiter de votre offre ce matin. Essayezb s’il ne pleut pas demain et si vous êtes à Paris de me la faire, cette même proposition, et vous verrez avec quelle furie je l’accepterai. Mais il est plus que probable que vous ne vous y frotterez pas. Taisez-vous, vieux tartuffe de MŒURS, taisez-vous. On sait vos allures mais aussi, une fois vos livres parus [3], je serai sans pitié et il faudra que vous me fassiez sortir nuit et jour tous les jours et toutes les nuits et quelquefois plus encore.
En attendant, j’ai la tête comme une pomme cuite et je ronge mon frein en MURMURANT bis [4]. Vous savez que je vous aime et je voudrais vous voir tout de suite.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 21-22
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « presqu’ ».
b) « Esseyez ».