16 septembre [1841], jeudi soir, 10 h. ¼
Je ne pouvais pas t’écrire, mon amour, pendant que Mme Pierceau était là. J’ai attendu qu’elle soit partie ainsi que les petites Bensancenot qui étaient venues passer la soirée avec Claire et puis voir M. Doi [1]. J’ai peur, mon pauvre enfant, que tu ne sois engagé dans quelque coin, attendant que la pluie cesse. Je voudrais bien être de deux heures plus vieille pour savoir si tu n’es pas trempé de la tête aux pieds. Il faut toujours que j’aie quelque inquiétude à votre sujet. Quand ce n’est pas sur votre fidélité, c’est sur votre santé, je ne puis pas être un moment tranquille.
Voici la sonnette de la porte, si ça pouvait être vous ! Mais non ça n’est pas vous, vous n’êtes pas si bête que de venir bien vite où vous êtes désiré. Vous aimez bien mieux rester sous la pluie comme un canard que de vous mettre à l’abri dans une bonne chambre chez une bonne Juju qui vous adore. Je ne vous dirai pas l’âge du capitaine Lambert, vous pouvez bien en être sûr [2]. Il me semble de plus en plus que votre goulot ne vaut pas ma malle et j’ai bien envie d’attendre pour terminer le marché que vous m’ayez apporté un bon boni [3] d’une belle petite boîte à volets que je n’aurai pas volée quoique vous m’en promettiez UNE [4]. Taisez-vous, monstre, je vous vois venir avec vos gros sabots : – mon serment, mon serment, mais que veux-tu donc ? Je te jure que tu es fou, il est fou, il est fou. Mon Dieu, c’est désespérant d’avoir affaire à des gens pareils dans des occasions sérieuses. Ia, ia, scélérat, mais je crois cette fois que te voici et j’en suis si bien aise que je te donne ma malle et tout le TREMBLEMENT de joie de te revoir.
Malédiction ! Damnation ! Mort et enfer ! Ce n’est pas toi. Je reprends ma malle et je la garde plus que jamais.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16346, f. 225-226
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette