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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 septembre [1841], jeudi soir, 11 h. ¼

Mon bien-aimé, je ne sais par où commencer pour te dire d’une façon nouvelle que je t’aime de toute mon âme et aussi fraîchement que le premier jour, mais comme je ne suis pas une femme de PLUME, je courrais risque d’attendre longtemps avant de rencontrer un mot que ne fût pas banala, trivial et bancal. Ma foi je me résigne à vous servir mon poisson sans sauce et tel que je le pêche au plus profond de mon cœur. Toto je t’aime, Toto tu es mon divin petit homme que je baise et que j’adore. Tu n’as jamais été plus beau ni plus doux, mon bien-aimé, et je suis éblouie et ravie devant toi. Laisse-moi baiser tes chers petits pieds, mon amour, laisse-moi te porter sur mes bras comme un enfant, laisse-moi me pâmer sur ta bouche rose et parfumée. Je t’aime.
J’espère que je parviendrai à refaire de mon affreuse malleb vermoulue un charmant petit coffret en tapisserie qui vous fera venir l’eau à la bouche. Suzanne a déjà bien trimé dessus mais ce n’est rien en comparaison de tous les petits [illis.] que je médite. Apporte-moi un petit chinois [1] ! Et mes statuettes [2] ? Et mes porcelaines ? Et mes GRAINES ? Et mes coquillages [3] ? Je ne vois rien venir que la malleb qui poudroie et mon nez qui verdoie [4]. Reviens-y, pÔlisson, me dire que j’écris comme un cochon, tu verras comme je te recevrai. Avec ça que tu écris bien toi, il faut le dire vite. Vraiment, on n’est pas plus impudent COMME UN COCHON TOI-MÊME dis donc, avec ta chemise plus noire que tes cheveux. Que je t’y reprenne encore, affreux bonhomme, et je te passe mon âme à travers le corps4. (C’est que je ne badine pas, entends-tu académicien ?)

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 193-194
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « bannal ».
b) « male ».

Notes

[1Hugo offre parfois de petits objets chinois ou des dessins de Chinois à Juliette car il éprouve un intérêt tout particulier pour cette culture.

[2Juliette réclamera ces statuettes à plusieurs reprises jusqu’au vendredi 10 septembre au soir, jour où il semble que Hugo les lui amènera enfin.

[3Juliette demande régulièrement des graines et des coquillages à Hugo, manifestement pour entretenir et agrémenter son petit jardin dans lequel elle cultive des plantes et des fleurs.

[4Références empruntées à la version de Charles Perrault du conte La Barbe bleue (1697) ; d’une part la réplique de la sœur Anne : « Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie », d’autre part le rappel de la mort du protagoniste : les frères de l’épouse menacée « lui passèrent leur épée au travers du corps ».

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