24 juillet [1841], samedi après-midi, 3 h. ½
Quand vous êtes revenu tout à l’heure, mon amour, j’étais en train de nifer mon ménage. Tous les jours je fais ma petite visite sans laquelle bien des nids à poussière et bien des toilesa d’araignées s’installeraient dans ma maison si je n’y prenais pas garde. Je viens de tailler mes plumes et je me suis encore coupé le pouce, ce qui est aussi drôle pour le moins que l’âge du capitaine Lambert [1]. Je vous demanderai cependant la permission de me débarbouiller avant de copier car tant que je n’aurai pas mis un peu d’eau sur ma figure je serai dans un état hideux. Aussitôt cette petite ablution faite je me livre à vous corps et âme et avec ma plus belle écriture que je vous prie de ne pas juger d’après celle-ci, comme le paysan d’Henri IV qui en avait de bien meilleur derrière ses fagots et qui le réservait pour une meilleure occasion [2]. Moi ce n’est pas du vin que je mets en réserve, c’est une BELLE ÉCRITURE MOULÉE, ia, ia monsire Dodo.
Je continue à avoir un affreux mal de tête, ce qui est bien embêtant. De toute façon, si je ne parviens pas à le calmer par de l’eau fraîche tout à l’heure, je suis une Chichi très aventurée car le mal de tête à ce degré-là vous ôte toute espèce de courage.
J’ai encore retrouvé tout à l’heure un Messager entier du 15 de ce mois [3]. Dans ma conscience je crains que vous ne l’ayez pas lu et je le resoumets à votre attention. On n’a pas plus de délicatesse, je me rends cette justice à moi-même. Si vous pouvez en avoir un peu aussi à mon égard vous me ferez marcher ce soir, quelles que soientb d’ailleurs vos occupations. Je sens que je crève dans ma peau de besoin d’air et d’exercice. Je vous aime mon Toto chéri.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16346, f. 83-84
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « toile ».
b) « quelque soit ».