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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 juin 1841

17 juin [1841], jeudi matin, 11 h. ¾


Bonjour mon bien-aimé, bonjour mon amour chéri. Il m’est impossible de combattre la somnolence qui s’empare de moi quand tu écris au milieu de la nuit. Cela me contrarie et m’afflige à un point que je ne puis pas dire.
Dès que tu as été parti hier, j’ai été réveillée et il m’a été impossible de me rendormir que plus d’une heure après pendant laquelle j’ai toussé à m’arracher la gorge [1]. Je ne comprends pas ce qui m’arrive car je suis au désespoir de dormir quand tu es là et cela ne m’est jamais arrivé que depuis que tu écris dans la nuit. Il faudra que je trouve moyen d’empêcher cela quand je devrais employer tous les prodiges de la chimie et m’enfoncer des épingles noires dans le nez. Je ne veux plus dormir quand tu écriras, c’est un parti pris.
Je vais donc recommencer mes tripotages. On m’a apporté aujourd’hui du sirop et de la poudre ; tantôt je commencerai ma tisanea et mes frictions ce soir, dont huit jours lab médecine [2]. Ia, ia monsire matame, il est son sarme , mais pas beaucoup amusant.
Mme Pierceau était allée voir son petit Jonas à la campagne [3] de sorte que Suzanne a jugé devoir ne pas laisser l’argent avec le paquet [4]. Il faudra ou y retourner ou attendre à dimanche [5] pour le lui donner et peut-être la pauvre Eulalie attend-elle après. Tous ces malheurs du 43ème ordre ne m’empêchent pas de te désirer et de t’adorer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 259-260
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « tisanne ».
b) « le ».


17 juin [1841], jeudi soir, [5/8  ?] h.

Voici la journée bien avancée, mon adoré, et je ne vous ai pas encore vu. Je ne suis pas très GEAIE comme vous devez le penser, si j’osais même je vous dirais que je suis triste car c’est la vérité contre laquelle tous les beaux raisonnements du monde ne font rien.
À propos, mon amour, j’ai une fameuse chandelle à brûler sur la carcasse de la vieille marquise de CRÉQUY FROULAY car si ellea n’était pas morte depuis quelque quarante ou cinquante ans je pourrais prendre place parmi les têtes…..b couronnées. C’est fort heureux pour moi qu’il ne lui ait pas pris fantaisie de laisser des petites de son espèce, car il paraît plus que certain que vous auriez marché et craché sur votre pauvre Juju comme sur la boue des rues. J’ai acquis hier cette douce certitude que vous m’auriez été infidèle avec cette vieille perruque enfarinée de latin et son vieux nez plus barbouillé de crottes scientifiques que de tabac d’Espagne. En vérité je vous le dis, je dois une fameuse chandelle à son vieux spectre. Je ne lui conseille pas de revenir en ce monde essayer le pouvoir de ses charmes et de son baragouinc sur vous, car à défaut d’esprit j’ai des poignesd qui tapentd dru et des ongles qui grifferaient et mettraient en lambeaux toutes les plus belles phrases et tous les plus beaux museaux du monde. Je vous aime mieux qu’aucune femme d’esprit car je vous aime comme unef bête que je suis.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 261-262
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « s’il elle ».
b) Il y a cinq points de suspension.
c) « baragoin ».
d) « poigne ».
e) « tappent ».
f) « un ».

Notes

[1Juliette est prise de quintes de toux très douloureuses depuis quelques jours, elle en a même perdu sa voix.

[2Juliette vient de commencer un traitement, prescrit par le docteur Triger, qui va durer plusieurs mois. Elle précise ses recommandations le 21 avril.

[3Mme Pierceau a accouché, le 15 mars, d’un petit garçon. Comme de nombreuses femmes de tous milieux au XIXe siècle, elle a probablement envoyé son bébé en nourrice à la campagne. On ignore le véritable nom de l’enfant, car Juliette appelle généralement « Jonas » tous les petits garçons de sa connaissance, en référence au fils, très agité et insupportable, d’une autre de ses amies, Mme Besancenot. Néanmoins, le 18 septembre, elle mentionnera le baptême d’un petit Crépin qui pourrait correspondre.

[4Mme Pierceau est couturière, tout comme Eulalie, et elles s’occupent actuellement des caleçons de Hugo.

[5En général, le dimanche soir, quelques amies de Juliette Drouet viennent dîner chez elle. Il s’agit surtout de Mme Triger, de Mme Guérard, de Mme Besancenot et de Mme Pierceau.

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