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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 avril [1841], lundi matin, 10 h. ¾

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon Toto chéri. Comment vas-tu ce matin mon amour ? Tu ne veux donc pas venir déjeuner jamais sous aucun prétexte ? Vraiment, j’y renonce car je vois bien que c’est un parti pris chez toi et plus je te le demande et moins tu veux. Je vais essayer de ne plus te rien dire, nous verrons si par esprit de contradiction tu viendras me surprendre.
Je viens d’envoyer porter ta lettre par Suzanne [1]. J’attends la blanchisseuse tantôt mais je ne sais pas comment je la paierai car je n’ai pas d’argent et j’ai oublié de te dire hier qu’elle venait aujourd’hui. De plus j’ai fait blanchir tout le rechange de mes rideaux, ce qui enfle le compte et le fait monter à près d’une dizainea de francs. Ma foi elle attendra jusqu’à l’autre semaine, voilà, elle n’en mourra pas pour une fois. Ce qui m’inquiète réellement c’est M. Pradier, peut-être faudrait-il lui écrire à ce sujet mais ce qu’il a de sûr c’est que sa conduite n’est rien moins que loyale [2]. Chaque fois que je pense à cela je sens une tristesse qui ne présage rien de bon pour l’avenir. Conseille-moi, mon petit bien-aimé, et dis-moi ce que je dois faire.
Pendant que je suis en train de te parler de choses désagréables, il faut que je te dise encore que j’ai reçu deux papiers des impositions. Il y a même déjà longtemps que le second est venu. Nous avons en outre ton bottier à payer. Maintenant si tu veux faire faire tes caleçonsb, il faut sans retard les porter à Mme Pierceau à tailler car je n’ai plus d’ouvrage à donner à Pauline. Ainsi, mon Toto, si tu veux profiter d’aujourd’hui où je ne l’ai pas à la maison je les lui porterai et j’en rapporterai un tout de suite à faire ce soir. Je te dis cela dans ton intérêt et pour employer l’ouvrière car sans cela je la renverrai d’ici à deux jours. Baise-moi, mon Toto chéri, en attendant, et aime-moi car je t’aime, moi, de toute mon âme et de tout mon cœur. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 65-66
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « dixaine ».
b) « calçons ».


19 avril [1841], lundi soir, 8 h. ½

Cher, cher bien-aimé adoré, depuis que tu es parti j’ai comme un remordsa dans l’âme de t’avoir laissé aller avec ta pauvre petite main nue. Je me trouve méchante, bête et atroce. Je voudrais me donner des coups de pied dans le ventre et des grands coups de poing dans le nez. Je me trouve absurde, inepte et ignoble de ne t’avoir pas tout de suite recousu ton affreux gant. En revanche et pour me punir de cette mauvaise action j’exige que la main dépouillée se venge en me chatouillant mes blancs de poulet et en se réchauffantb tout le long, le long, le long de la rivière et de mon dos. Ça m’apprendra une autre fois [à] avoir un peu moins de paresse et un peu plus d’entrailles. Baisez-moi cher petit bien-aimé. Baisez-moi bien fort, je vous adore à travers tout ça.
Je viens d’écrire à la mère Triger et à mon épicier. Il est important pour moi de commencer bien vite mon lessivage et de tâcher de n’avoir pas un sou dans ma caisse avant demain soir. Ia, ia monsire matame. Jour Toto, jour mon cher petit o. Je vous aime, je vous adore, baisez-moi malgré ma dernière noirceur. Je vous aime, mon ravissant Toto, je vous adore et je raffole de vous, mon amour. C’est bien bien vrai.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 67-68
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « remord ».
b) « réchauffe ».

Notes

[1Hugo travaille souvent chez Juliette le soir ou la nuit, et lorsqu’il écrit son courrier, il la laisser se charger de le poster le lendemain.

[2Claire est pensionnaire d’un établissement de Saint-Mandé depuis 1836 et c’est Hugo qui en assume les frais à la place de son véritable père, James Pradier. Or, le 23 janvier au soir, Juliette rapporte que l’adolescente l’a vu et qu’il a promis « que d’ici à dix semaines ou deux mois au plus tard il paierait sans faute tout l’arriéré de la pension de sa fille. » Or le 9 avril au soir, elle rappelle qu’il ne s’est toujours pas acquitté de sa promesse.

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