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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13a février [1841], samedi après-midi, 1 h.

Bonjour mon cher bien-aimé, bonjour mon Toto chéri. Comment vas-tu mon bon petit homme ce matin ? Je t’aime de toute mon âme, moi. Voilà le bulletin de ma santé : il est assez satisfaisant comme tu vois [1], mais il serait meilleur encore si tu étais venu cette nuit te reposer auprès de moi. Peut-être n’êtes-vous pas assez désintéresséb pour me donner cette preuve d’amour gratuitement. Cependant, vous n’êtes pas venu davantage quand je pouvais vous donner la monnaie de votre pièce et au-delà, d’où il faut conclure que vous êtes peut-être comme votre ami GRINGOIRE et feu M. Despréaux : très peu voluptueux [2].
Je vais essayer encore aujourd’hui de copier cet affreux article de La Presse [3] sur les Bonaparte [4], mais je n’ose pas promettre que ma tentative sera victorieuse tant ma répugnance est grande. Il n’y a que le désir de te plaire qui pourra en triompher. Jour Toto, jour mon petit o, je t’aime mon cher adoré.
Je crois que ton gilet sera fini ce soir [5]. Il sera très bien et te fera un bon service, je le pense du moins. En tout il te reviendra, journée d’ouvrière [6], doublure et fournitures comprisesc à 9 ou 10 F. Je ne sais pas ce que ton tailleur te faitd payer les tiens mais je pense qu’il te fera autant et plus de profit qu’un gilet de soie. Je vous aime Toto, baisez-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 139-140
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) Chiffre illisible.
b) « désintérressé ».
c) « compris ».
d) « fais ».


13 février [1841], samedi soir, 5 h. ½

Il paraît, mon cher petit Toto, que LA PRESSE vous a fait fauxa bon aujourd’hui ? Cela est d’autant plus naturel qu’il y a le feuilleton de Mme de Girardin probablement [7] ? Au reste j’y suis faite, quand quelque chose vous semble trop intéressantb pour moi vous me lec supprimez. C’est de la censure à domicile, à laquelle je n’ai rien à voir puisque j’ai accepté le règne du despotisme dans toute sa splendeur. VIVE LA CHARTE, VIVE TOTO, VIVE LES NEZ DE CARTON. Enfin je vous aime comme ça, c’est pas la peine que vous changiez à présent.
Je n’ai pas pu décidément prendre sur moi de copier la chose en question dans la journée, j’ai trop à faire et le soir ça m’est impossible, à moins d’un ordre supérieur. Sinon non, je reste dans ma paresse et dans mon antipathied pour l’écriture de ce qui ne me regarde pas et ne m’intéresse pas.
Ha ! ça, parlons peu mais parlons bien, est-ce pour demain que vous viendrez déjeuner avec moi ? J’en doute et vous me surprendrez agréablement si vous venez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 141-142
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « faut ».
b) « intéressante ».
c) « la ».
d) « anthipathie ».

Notes

[1Juliette est très souffrante depuis la veille, très vraisemblablement à cause de ses règles qui sont toujours l’occasion de grandes douleurs pour elle. Ceci expliquerait aussi le sous-entendu de la remarque qui suit à propos du « désintéressement » de Hugo et de son manque de « volupté ».

[2Citation de Notre-Dame de Paris de Hugo, 1831, Livre 2e, Chapitre VII « Une nuit de noces », au moment où le poète Gringoire vient d’épouser en noces blanches Esméralda : « Au fond, Gringoire, comme M. Despréaux, était “très peu voluptueux”. Il n’était pas de cette espèce chevalière et mousquetaire qui prend les jeunes filles d’assaut. En matière d’amour, comme en toute autre affaire, il était volontiers pour les temporisations et les moyens termes ; et un bon souper, en tête à tête aimable, lui paraissait, surtout quand il avait faim, un entr’acte excellent entre le prologue et le dénoûment d’une aventure d’amour ».

[3Quotidien français lancé en 1836 par Émile de Girardin. C’est, avec Le Siècle, le premier des grands quotidiens populaires français.

[4Dans sa lettre de la veille, Juliette mentionne que, trop souffrante, elle n’a pas pu surmonter son « antipathie pour l’écriture » pour copier « les détails relatifs à la noblesse de Napoléon Bonaparte » souhaités par le beau-père de Hugo : il s’agit d’un long article de André Borel d’Hauterive intitulé « Détails sur la famille Buonaparte » dans le numéro du 10 février 1841.

[5Juliette, depuis quelques jours, fait faire un gilet de cachemire pour Hugo, qui devait être terminé pour le lundi précédent, mais l’ouvrière, Pauline, était malade.

[6Pauline.

[7Émile de Girardin a inventé, avec le directeur du Siècle, Armand Dutacq, le principe du roman-feuilleton qui fidélise les lecteurs dans La Presse. Son épouse, Delphine, femme de lettres et journaliste, publie de 1836 à 1848 des chroniques spirituelles dans le journal de son époux, sous le pseudonyme du Vicomte Charles de Launay. Ces chroniques, éditées sous forme de recueil en 1843 sous le titre de Lettres parisiennes, obtiennent un grand succès. Delphine de Girardin a exercé une grande influence dans la société littéraire de son temps et elle a tenu un salon fréquenté par les plus grands auteurs de l’époque, dont Hugo.

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