5 mars [1841], vendredi après-midi, 1 h. ½
Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon amour bien-aimé. Je suis vraiment honteuse de me réveiller si tard. Je ne sais pas à quoi cela tient, voilà quelque temps que j’ai le sang à la tête et à la gorge, ce qui me donne un sommeil lourd et douloureux dont j’ai toutes les peines du monde à me sortir, mais une fois debout j’y pense moins. Vous m’aviez promis, cher petit homme, de revenir ce matin, que vous aviez des notes à prendre dans vos ravissants petits livres. Il paraît que rien ne peut vous attirer chez moi, pas même le charme de ces beaux livres dont vous avez empoisonné ma maison depuis un mois.
[Dessina]
S’il en est ainsi, je vous prie de les emporter dans le plus bref délai ou je les fiche au feu et autre part, tous tant qu’ils sont. Je les avais tolérésb comme un appât auquel vous mordriez plus volontiers qu’aux miens mais puisque ça ne vous produit pas d’effet je jette le morceau de lard rance de M. Sieyèsc [1] et les asticots de MM. les présidents au fumier. Je ne veux pas en infecter ma maison plus longtemps. Reviens-y m’en apporter encore, pÔlisson, tu verras ce que je te ferai, vieux saloP [2]. J’espère que je vous fais des P d’honneur à présent et que vous ne vous plaindrez plus de la trop grande abondance de mes T, ces sudorifiques de l’orthographe qui vous ont tant de fois fait suer. J’espère que je ferai honte à l’Académie maintenant et que je pourrai lutter avec le premier Soult venu sur les patati patata et les pataquès. En attendant, baisez-moi. Je suis furieuse, entendez-vous, vous n’avez qu’à vous bien tenir tout à l’heure.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 209-210
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) Dessin de deux livres : sur le premier l’on peut lire « Discours de réception : Citoyens… » et sur le second « Réponse du président : Monsieur… cochon… vous êtes… bête comme une oie… on vous dit merde… » :
- © Bibliothèque Nationale de France
b) « toléré ».
c) « Seyès ».
5 mars [1841], vendredi soir, 5 h. ½
Voilà la journée fort avancée, mon cher adoré, et vous n’êtes pas venu seulement une pauvre petite fois pour me réjouir les yeux et le cœur. Vous êtes un méchant homme et j’ai bien envie de ne plus vous aimer. Taisez-vous si vous avez le moindre petit sentiment de pudeur. Vous ne méritez pas l’amour exclusif et sans borne que j’ai pour vous. Vous êtes une bête et un académicien. Je me réjouis d’avance de tous les coups de pieds qui vont fondre sur votre PRUSSIEN [3], c’est la seule joie que j’espère mais j’avoue qu’elle vaut toutes les autres.
J’ai passé ma journée à bougonner et à m’apercevoira que depuis hier cette drôlesse de Pauline me fait de l’ouvrage inutile et, qui pis est, nuisible à mes infortunés rideaux. C’est pire que la peste ces gens-là. Je crois que non seulement ils sont stupides mais méchants. Enfin, je m’en suis aperçuea encore assez à temps pour en préserver les trois autres rideaux mais cela m’a miseb de mauvaise humeur pour toute la journée. Il n’y a que vous qui puissiez me relever de cette pénible faction. Votre sourire et un baiser de vous, en voilà assez pour me faire tout oublier et tout pardonner. Je vous aime Toto.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 211-212
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « appercevoir » et « apperçu ».
b) « mis ».