12 mars [1838], samedi matin, 11 h. ½
Bonjour, mon Toto bien-aimé, comment vas-tu ce matin ? Je me suis réveillée de bonne heure, pensant que tu viendrais m’apporter la loge de Mme Kraft. Il paraît que le théâtre ne t’a pas encore envoyé tes billets ? Charmant théâtre, va, et heureux auteur que tu fais ! Oh ! Si j’avais la puissance comme j’ai la colère, comme je les houspillerais d’importance [ces ? ] hideux gredins, tous ces plats laquais si vils et si lâches dans leurs perfidies. Je suis furieuse contre toute cette boutique. Quand je pense que c’est à toi qu’ils osent s’attaquer, après les généreux procédés que tu viens d’avoir pour eux [1]. Ces gens-là sont incorrigibles. Heureusement que je vais me [dégager ? dégrippera ?] un peu ce soir en écoutant ma ravissante et sublime Marion car je n’en démords pas, je veux ma petite loge. J’irais plutôt en faire le siège en personne que de n’y pas aller ce soir et tous les jours où on la donnera. N’est-ce pas, mon Toto, que tu veux bien me donner cette joie, car après la présence de ta personne adorée, je ne connais pas de bonheur plus doux et plus grand que d’entendre tes admirables et merveilleuses pièces dont chaque mot est un rubis ou un diamant éblouissant.
J’ai été interrompue ici par l’arrivée de la mère de Mme Guérard qui venait me demander des places pour ce soir. Je ne lui en ai pas promis, comme tu penses bien, je lui ai offert deux places dans ma loge quoique ce soit très ennuyeux de toutes façons d’avoir la Guérard sur le dos. Tu ne viens pas mon Toto, je crains que tu oublies que nous avons une loge à envoyer à Mme Kraft et que nous n’avons que le temps juste. Je vous aime, mon Toto, je vous adore, mon Victor. Jour, Toto. Jour, mon petit homme chéri. Tu n’es pas venu déjeuner avec moi ce matin, c’était pourtant le bon moment mais vous ne devinez rien, vous, vous êtes très bête. Je vous aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16333, f. 148-149
Transcription d’Armelle Baty assistée de Gérard Pouchain
a) « dégriper ».