Guernesey, 29 décembre 1855, samedi, 4 h.
Le sort en est jeté, mon pauvre petit bien-aimé, Cahaigne dînera avec nous mercredi. Je n’avais pas pu me décider à lui écrire pour l’inviter mais il est venu de lui-même tantôt et ma foi je ne suis risquée, quitte à ne pas recommencer si la corvée te paraît trop au-dessus de tes forces. En attendant, je t’aime plus que, le plus que, le plus plus que et je te désire avec tout mon cœur et toute mon âme.
Le petit Préveraud va décidément de mieux en mieux [1]. Et, à moins d’imprudence, il sera guéri on l’espère d’ici à un mois. J’en suis vraiment bien contente car j’ai un grand fond d’attachement pour ce hargneux petit homme et surtout pour sa bonne et naïve petite femme.
Cher adoré, je voudrais qu’à travers ces mots si insignifiants, tu puissesa voir la tendresse dont ils sont remplis. Chacune de ces consonnes et de ces voyelles biscornues est une espèce de bouteille contenant mon amour à l’état HAUT [illis.] DE LA COMÈTE et bouché avec mon esprit pour l’empêcher de s’éventer. Abreuve-t-enb, mon adoré, car la source en est inépuisable et plus tu en prendras, plus j’en aurai à te donner.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16376, f. 424-425
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa
a) « puisse ».
b) « abreuves ».