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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 22 novembre 1855, jeudi après-midi, 1 h.

Je viens de finir ma copire, mon cher adoré, et je t’attends tout mon cœur dehors. Mon Dieu que j’ai hâte de revoir la douce et ravissante expression de ton beau et noble visage. Il m’est impossible de te voir triste, mon pauvre grand adoré, sans en souffrir jusque dans la moelle de mes os. J’espère que tous les nuages de ton intérieur auront disparuaaujourd’hui et qu’il ne sera plus question d’aucun vilain malentendu entre toi et ta famille [1].
En attendant, je ne veux pas me remettre en quête d’un logement avant de t’avoir revu ; d’abord pour ne pas te manquer quand tu viendras tantôt, ensuite pour que tu m’indiques à peu près la direction dans laquelle je dois chercher.
J’ai pourtant bien le désir de me caser définitivement le plus tôt possible. Du moment où tu te sens gêné pour me voir à l’hôtel je m’y sens de mon côté très mal à mon aise et je donnerais tout au monde pour en être déjà dehors [2]. Les Préveraud pensent s’en aller à Londres à la fin de la semaine prochaine, raison de plus pour me dépêcher de déguerpir moi-même, avant eux si je peux. En attendant, je suis assez contrariée de ne pas recevoir des nouvelles de Paris touchant mes affaires. Le silence prolongé de Julie [3] me paraît peu obligeant et m’embarrasse pour l’avenir. Je crains que les renouvellements du M. [Dep. ?] ne soient en souffrance et qu’on ait vendu les deux grandes reconnaissances.
Tout cela pourtant n’arrive que bien, bien, bien loin après le plus léger de mes soucis sur ce qui nous intéresse tous les deux et je donnerais tout le fond et le tréfondsb de mes AFFAIRES pour un sourire de toi. Voilà la vraie vérité. Cher adoré, tâche d’avoir le cœur plus content tantôt et viens plus vite m’en donner la nouvelle. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16366, f. 364-365
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa

a) « disparus ».
b) « tréfond ».


Guernesey, 22 novembre 1855, jeudi après-midi, 1 h. ½

Je prête l’oreille malgré moi à tous les bruits et à tous les pas dans l’espoir de deviner ta présence dans l’un d’eux. Mais jusqu’à présent je m’exerce l’ouïe inutilement et je fatigue mon attention sans aucun profit car je n’entends que la toux de Cahaigne et les courses désordonnées du petit Préveraud en proie à l’eau de SEDLITZ [4], possession qui lui laisse encore le loisir de jurer, grogner et de niaiser à propos de tout et d’autres choses. Quant à sa petite femme, pourvu qu’elle puisse tailler, rogner et tirer des points, elle est heureuse et son mari lui paraît le plus adorable des bourgeois.
Il a reçu, le mari Préveraud, des imprimés pour toi venant de Jersey mais qui avaient été emportés par mégarde hier jusqu’à Southampton. Il y en a de la part de Ratier et de la part de Rondeau. Il est probable que tu en as reçu de pareils directement. Quant à moi, j’ai reçu L’Homme [5] que je n’ai pas encore pris le temps de lire pour ne pas retarder ta copire ni mes restitus. Voilà toutes mes nouvelles, mon cher petit homme, voyons maintenant les vôtres. Surtout pas de restrictions ni de réticences sur rien, en rien et pour rien. En attendant, je vous aime en toute confiance et je vous souris de toute mon âme. J’y ai d’autant plus de mérite que je sais que vous ne pourrez pas me donner mon VENDREDI [6] demain. Je savais bien que si je te laissais jamais entamer je ne pourrais plus les ravoir ou bien difficilement, ce pauvre VENDREDI, mais je ne lâcherai pas prise tout à fait quand je devrais m’y cramponner des pieds, des mains et des dents. Tenez-vous pour averti et tâchez de me rendre le plus prochain de vos jours en échange des miens que vous m’avez si indûment pris. En attendant, aimez-moi le plus fort que vous pourrez. Quant à moi, je vous adore sans effort.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16376, f. 366-367
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa

Notes

[1Les Adèle sont mécontentes du choix de Guernesey comme lieu d’exil.

[2Après son séjour au Crown Hotel (où logent aussi les Préveraud, ce qui lui fait de la compagnie), Juliette emménagera 8 rue Havelet mi-décembre.

[3Julie Rivière s’occupe des affaires de Juliette à Paris.

[4L’eau de Sedlitz (village de Bohème) est une « eau minérale froide et chargée d’une assez forte proportion de magnésie, qui la rend purgative ».

[5Journal des proscrits, voir la note de la lettre du 1er mars.

[6Hugo a pris l’habitude de venir dîner chez elle le vendredi.

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