Jersey, 4 mai 1855, vendredi soir, 5 h. ¼
Malgré tous mes efforts pour avoir beaucoup de temps à donner aujourd’hui à la COPIRE, mon cher petit homme, j’arrive seulement à avoir fini à l’heure qu’il est. Ce n’est presque plus la peine de commencer à me mettre en train maintenant car je craindrais d’être dérangée à la première ligne. Mais je te promets que, ce Balthazar passé, je copierai d’arrache-plume et sans m’interrompre jusqu’au mot : FIN. Encore cette soirée de flânerie et puis après un immense coup d’activité jusqu’à parfaite extinction de strophes. J’espère que notre petit festin se passera gaîment et que nous ne regretterons pas d’avoir payé de la viande à des gens ennuyeuxa. Si tu peux ajouter ton portrait à mon gala, je crois que Mme Charrassin goûterait fort cet entremets et qu’elle en serait très heureuse. Quant à moi, je ne me sens pas le courage de donner un seul de tes cheveux, même photographié ; aussi si tu tiens à ce que je riposte par une bonne GRÂCE, la savoureuse motte de beurre frais, il faut que tu la fassesb toi-même. Je te remercie, mon doux bien-aimé, pour l’apostille que tu as ajouté à ma lettre à Dumas [1]. Dans toute autre occasion ma MODESTIE se serait refuséec à ce genre de compliment mais le déni de justice que mes aimables contemporains pratiquent envers moi, depuis que j’ai l’honneur de baiser tes pieds et de m’être refait une âme avec ton âme, me font un devoir d’accepter la plus légère marque de sympathie et de protestation qu’on m’adresse de quelque part qu’elle me vienne, quoique ni justice ni injustice, ne puisse en rien augmenter ou diminuer mon amour pour toi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16376, f. 181-182
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa
a) « ennuyeux ».
b) « fasse ».
c) « refusé ».