Guernesey, 19 mai [18]63, mardi matin, 8 h.
Où en es-tu de ta nuit, mon cher bien-aimé ? As-tu pu dormir malgré l’effroyable tempête qu’il a fait et qui dure encore ce matin ? J’ai bien peur que tout cea vacarme ne t’ait fait passerb une nuit blanche et que tu sois bien fatigué ce matin. Je n’ai pas besoin de cette inquiétude pour attendre avec impatience le moment où je te verrai mais je donnerais tout au monde pour y être déjà et pour être bien sûre que tu vas bien et que tu as bien dormi. Du reste impossible de songer à rien voir de chez moi à chez toi à travers ces cataractes de pluie qui inondent les vitres. Depuis que je suis levée je passe mon temps aidée de Suzanne à éponger l’eau qui s’immisce de toute part, depuis le lucoot jusqu’à la cuisine. Cette occupation finit à la longue par être aussi fatigantec que fastidieuse et j’aimerais bien en voir la fin tout de suite. Ce bon Mathieu (DE LA DRÔME [1]) ne s’est trompé que de deux mois (une vétille) dans ses prédictions météorologiques ce qui n’est peut-être qu’un lapsus du baromètre et non [sa ?] propre bévue. Quoi qu’ild en soit, il fait un temps PÉRISSABLE, comme dit la bonne miss Le Boutillier, et on doit se trouver bienheureux de se sentir à l’abri au coin de son feu en songeant à tous les pauvres marins et à tous ceux que le mauvais temps met en danger en ce moment. Si la prière peut leur être de quelques secours, j’adresse la mienne à Dieu pour eux de tout mon cœur et de toute la force de mon amour pour toi, la vie de ma vie.
BnF, Mss, NAF, 16384, f. 130
Transcription de Chantal Brière
a) Juliette note « que » par erreur.
b) « passé ».
c) « fatiguante ».
d) « Quoiqu’il ».