Paris, 5 juin [18]79, samedi matin [1], 8 h.
Cher adoré, je viens de te faire ma dévote visite quotidienne dont tu ne m’as pas paru plus ému sous le ciel de ton lit que ne l’est Dieu quand je le contemple, lui aussi, sous son ciel infini. Chacun de vous, Dieux, me paraît aussi indifférenta l’un que l’autre à mes prières, à mes douleurs et à mes joies. Mais je n’en persévère pas moins à vous adorer et à vous bénir tous les deux de toute mon âme, telle est mon invincible foi en vous.
L’ordre du jour du Sénat pour aujourd’hui n’a pas varié d’un mot et je suis plus que jamais convaincue que tu feras bien de ne pas te déranger pour lui. Lesclide m’a écrit un petit mot pour me dire que si le temps devenait beau d’ici à tantôt, six heures, les frères Godard [2] comptaient sur toi. Autre guitare : la note du jardinier qui se monte à 424 F. 30 tant en abonnement trimestriel qu’en tuyaux d’arrosage qu’en charretéesb de cailloutis et de terreau, de plantes, d’arbustes et de fleurs fournisc. Je te donnerai la note quand je te porterai mon gribouillis. En attendant je te jette mon cœur à la tête et mon âme sous tes pieds.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16400, f. 142
Transcription de Chantal Brière
a) « me paraissent aussi indifférents ».
b) « charreté ».
c) Après l’énumération Juliette répète par erreur l’expression « se monte à 424 F. 30 ».