Guernesey, 8 novembre 1858, lundi soir, 8 h.
Je crois qu’il vaut mieux que je te dise, mon bien-aimé, qu’à ton insu et sans le vouloir, je le crois, tu es souvent injuste et injurieux pour moi. Aujourd’hui encore, tu m’as reproché de ne pas tenir compte de ta générosité d’avant-hier parce que je te proposais de me céder, en déduction de ce que tu me dois sur mon mobilier, de quoi faire un petit meuble dont j’ai envie. Cette confusion de mon droit et de ta bonne grâce volontaire est tout à la fois injuste et blessante en ce qu’elle consiste à me faire passer pour une femme sans discrétion et sans reconnaissance, tandis que je ne suis qu’une femme essayant d’user de son libre arbitre, de sa raison et de sa dignité quand l’occasion s’en présente. Je te le dis sans colère, mon Victor, mais avec une vraie tristesse, tu as tort de me traiter comme une femme sans raison et sans cœur et de vouloir substituer toujours et partout ta personnalité à la mienne et ta tutelle à l’esprit de conduite dont Dieu m’a suffisamment pourvuea pour me diriger dans la vie et malgré l’amour sans borne que j’ai pour toi.
Bnf, Mss, NAF 16379, f. 316
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
a) « pourvu ».