Guernesey, 3 octobre 1858, dimanche matin, 8 h.
Bonjour, mon Victor bien-aimé ; bonjour, dans ton cœur et dans ton esprit ; bonjour, dans ta santé et dans ton amour ; je t’aime. J’espère que tu as bien dormi, mon bon petit homme et que tes forces sont encore plus grandes qu’hier ? S’il fait beau tantôt et que tu sois disposé à faire une petite promenade avec moi, je serai toute prête. Je suis en ce moment trop patraque pour oser me risquer le soir à l’humidité. Depuis déjà quelques jours, je suis en proie à des douleurs très aiguës et très significatives de rhumatisme et je crois prudent de ne pas les favoriser par des promenades au clair de lune. Pauvre adoré, je sens que je me prive du plus grand bonheur qui me reste, celui de sortir avec toi le soir. Mais je crains tant de te mettre sur les bras le fardeau d’une femme percluse et paralytique que j’aime mieux me retrancher dès à présent quelques douces soirées de bonheur que de t’infliger le supplice de ma podagrerieimminente quelques jours plus tôt. Telle est ma tactique. J’avoue qu’elle n’est pas très forte ni très pointue, mais je n’en peux pas avoir d’autre pourvu que tu te portes bien et que tu sois heureux, IL N’Y A PAS DE DANGER suivant la maxime de Jean Chouan [1], mon compatriote. Sur ce, je te baise depuis tout jusqu’à bien autre chose.
Juliette
Bnf, Mss, NAF16379, f. 280
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette