Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1837 > Juillet > 24

24 juillet [1837], lundi après-midi, 2 h. ½

Qu’est-ce que vous dites donc là, mon cher bien aimé ? Que si nous ne faisons pas de voyage vous me donnerez mon quatrième panache ? Mais je n’en veux pas à cette condition. Je vous rends même les autres et le lit avec [1]. Je veux un voyage, moi, ou rien. C’est bien plus nécessaire que vous ne paraissez le croire. Un voyage, avec toi : mais je donnerais tout ce que j’ai et tout ce que je pourrais avoir dans l’avenir pour faire un voyage de quinze jours avec toi ! Mon Dieu mais je n’ai pas d’autre but, moi. Vivre de la vraie bonne vie avec toi pendant quinze jours, mais c’est plus beau que tout au monde et plus nécessaire que d’avoir une chambre, un lit dans lequel tu ne couches presque jamais ! Enfin c’est dit. Je ne veux de panache qui si le voyage se fait, sans cela je n’en veux pas. Je veux que tout ce qui me servira et m’entourera soit borgne, boiteux, aveugle et éclopéa comme le sera ma pauvre âme si on ne lui donne pas au moins ses quinze jours de bonheur pour passer son hiver qui promet d’être rude d’après le peu de provision qu’elle a amassée ce printemps et cet été. N’est-ce pas mon cher petit homme adoré que tu feras tous tes efforts pour me donner quelques jours de joie et de paradis ? Je serai si bonne et si geaie tout ce temps-là que cela te rendra heureux. Tu verrasb.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 89-90
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
[Souchon]

a) « écloppé ».
b) En bas de la page figure, en lettres de petite taille, la mention « 12 – Icart », qui correspond à une numérotation et à une marque de Louis Icart, collectionneur ayant revendu près de 17 000 lettres de Juliette à la Bibliothèque nationale. Cette mention a peut-être pu être ajoutée plus tard encore, par un archiviste de la BnF, pour en signifier l’origine.


24 juillet [1837], lundi soir, 6 h. ¾

Il sera donc toujours dit, méchant petit homme, que vous ne m’accorderez pas deux bons moments dans une journée. Ainsi, si vous êtes venu déjeuner avec moi, c’est une raison pour ne pas venir ce soir. Affreux bonhomme que vous êtes. Non, ma foi, vous n’avez pas l’air JEUNE, j’en serais bien fâchée. Vous avez l’air VIEUX ET BÊTE, C’EST BIEN FAIT. Je travaille mais cela me crève les yeux. Je pense à vous et cela me crève le cœur. De quelque côté que je me retourne, je ne suis pas à mon aise. Oh ça, est-ce que ce serait ce soir votre réception chez M. Molé [2] ? Vous en êtes bien capable, comme aussi de ne pas venir me voir avant d’y aller. Charmant jeune homme, VOUS VIEILLISSEZ et vous devriez relire Racine [3]. Je vous aime pourtant comme cela. J’aimerais peut-être moins un honnête homme [4]. C’est égal, vous êtes pas beaucoup aimable en un jour. Et puis j’ai toujours mal à la tête. J’aurais besoin de marcher. Mais vous vous pendriez plutôta que de faire quelque chose qui me soit bon et utile. Je crois que vous me prenez pour une cocotte. Si vous aviez le front d’aller chez votre ministre avant de venir chez moi, vous mériterez bien que je vous tire tout ce que vous avez de cheveux et d’oreilles, hein ? Je ne veux pas à l’avance me monter l’imagination là-dessus, j’aime mieux attendre la fin des choses. Je vous embrasse cependant, et [de] toute mon âme encore, quoique vous ne la méritiez guère.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 91-92
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


a) « plus tôt ».

Notes

[1Dans sa lettre du 14 juillet, Juliette évoquait son attente de panaches (bouquets de plumes ornementaux) pour décorer les quatre coins du dais de son lit.

[2À cette époque, Molé est premier ministre.

[3Conseil récurrent, leitmotiv de ce mois de juillet, et dans lequel on peut deviner soit l’allusion stylistico-esthétique au classicisme, soit la connotation passionnelle, soit les deux à la fois.

[4La phrase est tirée d’une longue réplique de Marie Tudor dans la pièce homonyme, au sujet de Fabiani (Journée III, Partie I, scène 4).

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne