6 juillet [1837], jeudi soir, 10 h. ½
Vous êtes devenu insaisissable, mon cher petit homme. Vous ne faites que paraître et – disparaître. Vous paraissez pas deuxa secondes à la fois et vous disparaissez des jours entiers. Je voudrais pourtant bien vous voir. J’ai la langue usée à force de parler de vous et de lire vos admirables vers, mais j’ai les lèvres très neuves car je ne m’en sers guère à vous baiser. Mme Pierceau vient de partir. Il ne me reste plus que Claire que je vais envoyer coucher pour mieux penser à vous. Mon petit o, mon gros to, relisez Racine [1] et venez me voir très tôt. J’oserai même aller plus loin dans mes vœux téméraires. J’oserai vous prier de venir CETTE NUIT, Ô COMBLE DE FORFAITS ! Je ne m’en défends pas. Qui sert bien son pays n’a pas besoin de coucher seule [2]. Sur ce je prie Dieu qu’il vous envoie dans mon ANTRE le plus vite possible. Je répands des torrents d’encre sur mon papier ce qui prouve clairement que mes idées sont aussi abreuvées que votre cœur est noir. C’est fièrement bien trouvé, ça, hein ? Je voudrais bien vous voir cependant. Je ne peux pas ne vous aimer qu’en souvenir. C’est de la viande un peu creuse quand comme moi on a un appétit glouton. Venez donc, venez donc, venez donc.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 21-22
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « de »