14 mai [1837], dimanche matin, 11 h. ¼
Bonjour mon cher bien-aimé. Bonjour ma vie, bonjour ma joie. Pardonne-moi ma maussaderie qui n’était que dans les mots et à la surface car dans le fond du cœur je t’adorais et j’avais l’âme exaltée par tout ce que tu fais pour moi. Mais je te le répète je souffrais horriblement et encore aujourd’hui je souffre beaucoup. Je ne sais pas comment je ferai tantôt si cela ne se calme pas. Je viens d’écrire à Mme Lanvin. Je suis vraiment très tourmentée de ce côté-là. Je voudrais bien en être débarrassée. Jour mon cher petit homme bien aimé. Ne te fâche pas quand je me plains de tes longues absences. Si je t’aimais moins je ne m’en apercevraisa pas ou j’en souffrirais moins. Il ne faut pas repousser l’amour même sous cette forme puisque c’est là qu’il est malheureux. Il faut le plaindre et lui pardonner. Jour toi, jour vous, jour marchand d’habitsb vieux galons [1]. Je vais joliment faire mes orges [2] là-dedans. Et les Lanvins donc, ah ! bon ! Jour. Pourquoi que t’es pas venu couchire n’avec [3] MOI YA MENER [4]. Vous m’auriez guéri mon mal de tête. Vous êtes pas beaucoup charitable vous. Ordinairement les médecins viennent à toute heure du jour et de la nuit. Mais vous, prout… On ne peut pas vous attraper.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16330, f. 163-164
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « appercevrais ».
b) « habit ».
14 mai [1837], dimanche matin, 11 h. ½.
Je t’écris tout de suite ma seconde lettre pour n’avoir pas une dette tantôt en arrière de moi. Et puis ce que je pense à présent, je le penserai tantôt, je le penserai demain, je le penserai toujours. Toujours je t’écrirai je t’aime comme je l’ai écrit hier, comme je l’écris depuis que je te connais. Ainsi ça ne fait rien que je t’écrive plus tôt et coup sur coup. Jour mon petit o. Jour mon gros to. Il fait beau aujourd’hui pour peu que cela dure au moins toute la journée. J’en ai besoin pour me réchauffer, moi. Depuis huit jours les frissons et la fièvre. Jour mon petit homme. Je suis fameusement laide ce matin. Ceta affreux mal de tête m’a fait faire des progrès dans ce sens-là. Si vous me voyiez comme ça, vous en voudriez plus de moi du tout jamais. Vous voyez bien que vous ne m’aimez pas. Car moi je vous aimerais vieux et laid autant que [si tu étais ?] jeune et beau. Vraiment il n’y a que moi pour vous aimer comme il faut. Jour, petit difficile qui n’aimez pas votre pauvre Juju quand elle est vieille et laide. Jour. J’espère mon petit homme que tu ne me laisseras pas toute la journée sans te voir sous prétexte que j’ai mon père [5] et Mme Pierceau. Je serais bien joyeuse et bien avenante si tu faisais cela. Viens je t’en prie.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16330, f. 165-166
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « c’est ».
14 mai [1837], dimanche soir, 9 h. ½
Voici tout mon monde parti en même temps, mon cher petit homme, et j’en profite pour vous donner non pas votre contingenta mais le mien. Je vous ai à peine vu aujourd’hui, avec la précaution que vous avez prise de venir juste à l’heure où j’avais mes convives. À présent que je suis seule et toute à vous, vous ne viendrez pas du tout selon votre louable habitude. Je vous aime de toute mon âme. Cependant, je vous aime comme je voudrais être aimée. Je vous aime depuis les pieds jusqu’à la tête tout compris, le bon et le mauvais. J’ai bien pensé à vous, allez. J’ai bien regretté le temps que je donnais à ces pauvres gens comme si je l’avais pris à notre amour et Dieu sait que moi libre de vous recevoir, vous n’en seriez pas resté une seconde de plus, au contraire. Mon père [6] s’en est allé en même temps que Mme Pierceau. Il est convenu qu’il m’écrira deux ou trois jours avant son départ pour que je lui envoie le fameux paquet en question. Voilà ce qui a été convenu entre nous.
Je t’aime mon Victor adoré. Sais-tu cela, je t’aime de toutes mes forces, je t’aime de toute mon âme. Je n’ose plus vous demander quand vous viendrez à passer. Je crains de vous fâcher mais je veux le désirer tout bon et je voudrais que ce fût bientôt.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16330, f. 167-168
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « compte ingent ». Juliette corrigera bientôt la faute, en soulignant le mot, dans la lettre du 27 mai (midi), avec un autocommentaire qui laisse à penser que Victor Hugo la lui avait fait remarquer.