Paris, 18 avril [18]72, jeudi matin, 6 h. ½
Je te donne mon bonjour le plus tendre, le plus matinal et le plus frais aussi, mon cher bien-aimé, car le soleil n’a pas encore montré le bout de son nez. J’espère que tu dors encore à poings fermés et je souhaite même que tu ne te réveilles pas de si tôt. Quant à moi je suis dans une phase d’insomnie qui me force à décrépira du lit dès patron-minette pendant que mes femmes ronronnent à qui mieux-mieux sur leur oreiller. Au reste il n’y a pas que moi de levée aujourd’hui car la rue est déjà pleine de petits fantômes blancs voilés, un livre de messe à la main, qui se dirigent du côté de l’église sous prétexte de première communion. Puisse cet acte de superstition accompli de bonne foi par ces jeunes enfants leur porter bonheur dans la vie, c’est ce que je leur souhaite de tout mon cœur en les regardant passer. J’ai été très désappointée hier en apprenant que L’Année terrible ne paraîtrait que samedi au lieu d’aujourd’hui. Bien que je connaisse ce formidable livre je suis impatiente de le lire sous sa vraie forme de livre. Aussi j’attends samedi avec un redoublement d’impatience qui ne me permet pas de penser à autre chose qu’à t’aimer.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 106
Transcription de Guy Rosa
a) Le mot est très soigneusement écrit ainsi, reproduction probable d’un cuir entendu et dont Hugo et Juliette s’amusaient.