Guernesey, 4 avril 1858, dimanche matin, 8 h. ½
Bonjour, mon cher petit Toto (comme autrefois), bonjour mon cher bien-aimé, comme à présent et comme toujours. J’espère que tu as passé une bonne nuit et que nous passerons ensemble une bonne journée. Je m’y prépare d’avance comme tu vois en commençant ma journée par t’aimer. C’est grand dommage que ce soit aujourd’hui dimanche et surtout dimanche de Pâques parce que nous aurions pu aller sur la colline respirer un peu de printemps, de bonheur et de beauté, mais il m’est impossible de risquer mon vieux chapeau fané et piteux au milieu des triomphants et belliqueux couvre-chefs des Guernesiaises et des Guernesiais un jour comme celui-ci. Dès que je serai armée en guerre, nous pourrons nous risquer dans les revues hebdomadaires des Dromadaires de la localité. En attendant, je reste chez moi à voir fleurir mon cerisier, à [entendre ?] caqueter mes poules et regarder les traînées de soleil sur les jardins de mes voisins. Cela suffirait à mon bonheur complet, si tu étais là pour en jouir avec moi. Mais les deux ou trois murs de séparation qu’il y a entre nous suffisent de reste pour intercepter toutes ces joies du cœur et de l’âme qu’on ne goûte bien qu’à deux.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16379, f. 74
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]