Guernesey, 13 février 1858, samedi soir, 6 h. ¼
J’espère que je vais me tailler une ample restitus ce soir, mon cher bien-aimé, comme si la longueur de mon gribouillage pouvait raccourcir les deux ou trois heures qui nous séparent d’ici au thé. Hélas ! J’ai beau mettre mon cœur bout à bout avec mon âme, je ne parviens pas à rattraper les heures perdues pour mon bonheur pendant ton absence aujourd’hui. J’ai été presque aussi affairée que toi car à mon jour de laverie et de peignerie, se sont ajoutéesa les visites que tu sais, y compris celle de Mme Marquand. Sans compter que je suis assez souffrante pour n’avoir de courage à rien qu’à t’aimer. Tout cela, mon cher adoré, a rempli ma journée jusqu’à présent ; dans ce moment-ci, Suzanne revient de chercher de l’eau Havelet [1] et va s’occuper de faire chauffer mon dîner. En attendant, je te gribouille toutes ces niaiseries oiseuses qui tiennent de la place et qui ne satisfont pas mon cœur. Chaque fois que je prends la plume pour t’écrire, il me semble que le peu d’intelligence que j’avais la minute d’auparavant se retire de moi tout à fait et qu’à sa place [arrive ?] l’a plus épaisse stupidité. Mon amour a beau se dresser et lutter des pieds et des mains contre elle, il ne parvient pas à la faire taire et c’est toujours elle qui a le premier et le dernier.
Juju
BnF, Mss, NAF 16379, f. 32-33
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
a) « s’est ajouté ».