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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 août [1848], vendredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon bien-aimé, bonjour, avare, bonjour, dura à cuire, bonjour. Je ne vous en dis pas davantage ce matin parce que c’est perdre mon temps, du beau style et de la bonne colère pour rien. Vous n’avez pas de cœur, c’est connu, taisez-vous. Seulement je vous prie de vous dépêcher de louer un appartement pour que je puisse faire mes recherches à mon tour [1]. Je vous permets d’être avare, dur, cruel et injuste pour les robes de popeline marron, mais je vous défends de me laisser indéfiniment loin de vous. Là-dessus je n’entends pas raison. Je veux bien traîner la guenille mais je veux que ce soit auprès de vous, à votre porte et pour vous faire honte. Je veux que mon spectre en haillon soit toujours présent à vos yeux. Je veux être la Guanhumara [2] de votre quartier. Ça vous apprendra à ne pas me donner de tas de culottes, pas même de robes. Taisez-vous. Je tâche d’être DRÔLE mais c’est aussi commode que de danser la polka sur des œufs durs avec des souliers ferrés. Le moyen d’avoir l’esprit léger et le cœur à la danse avec l’assommante pensée que je ne te verrai peut-être pas aujourd’hui ou si peu que ce sera un regret de plus, il faut vraiment avoir bien du courage pour essayer de rire avec une pareille préoccupation. Aussi je ne ris pas, je t’aime et je rage voilà tout.

Juliette

BnF, Mss NAF 16366, f. 297-298
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « dure ».


25 août [1848], vendredi matin, 10 h.

Je pense à toi, mon petit homme, je fais mes préparatifs pour aller te trouver en suppliant le bon Dieu d’écarter de nous tous les obstacles qui pourraient se trouver entre nous et nous empêcher de nous rapprocher. J’ai été bien heureuse hier pendant ce petit trajet de l’Assemblée à la rue de Ménars et de la rue de Ménars à l’Institut. Chaque pas que nous faisions ensemble semblait me rapprocher de mes anciens bonheurs. Hélas ! Tu m’as laissée en route trop tôt. Je suis revenue toute seule comme une pauvre Juju désappointée. Si j’avais su par quelle porte tu devais sortir j’aurais été t’y attendre. Je suis revenue sur mes pas dans cette intention et je ne l’ai pas fait dans la crainte que tu ne sortes par la porte opposée à celle où j’aurais été, ce qui n’aurait pas été impossible avec le guignon qui me distingue et puis je craignais encore de paraître suspecte au portier de l’établissement. Toutes ces bêtes de raison font que je me suis en allée piteusement avec toutes sortes de regrets, de joies et de tristesse mêlées ensemble et qui faisaient un bonheur mi-partie assez difficile à définir. J’étais heureuse de notre petite promenade et malheureuse de notre brusque séparation. Je souriais en pensant à l’heure qui venait de s’écouler et je pleurais en songeant aux affreuses vingt-quatre heures qui nous séparaient et puis je sentais qu’heureuse ou malheureuse je t’aimais toujours davantage.

Juliette

BnF, Mss NAF 16366, f. 299-300
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

Notes

[1La famille Hugo, qui vit depuis le 1er juillet rue de l’Isly, emménagera le 15 octobre rue de la Tour-d’Auvergne. Afin de se rapprocher de son amant, Juliette Drouet quittera la rue Sainte-Anastase pour la cité Rodier durant le mois de novembre 1848.

[2Personnage de vieille femme vengeresse dans Les Burgraves.

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