19 août [1848], samedi matin, 8 h. ½
Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon adoré Toto, bonjour. Comment vas-tu ? Comment m’aimes-tu ? Moi je vais avec un redoublement d’amour et de mal de pied, c’est triste. Jusqu’à présent je ne sais absolument pas quel remède faire pour calmer ces deux genres de maux. Aujourd’hui mon pied refuse tout à fait le service sous prétexte d’enflure et d’inflammation, le lâche [1]. Heureusement que je ne suis pas de mon pays pour rien et que j’y mets encore plus d’entêtement qu’il n’y met de mauvaise volonté et j’irai te voir tantôt n’importe comment et quoi qu’il arrive. Je suis allée hier à Marie Tudor [2] avec les deux Féau. Il y avait peu de monde, ce qui n’a pas empêché la pièce de faire beaucoup d’effet. Du reste il est impossible d’espérer faire de l’argent avec les préoccupations et les craintes du moment [3]. Hier le neveu de Mlle Féau, qui est garde-mobile, conseillait à sa tante de ne pas rentrer tard. Ce que ce tourlourou disait à sa tante, tout le monde se le dit à part soi plus ou moins. Aussi je suis fâchée que Mlle Georges ait fait sa rentrée dans ce moment-là. Mon Victor, j’entasse l’un sur l’autre des millions de baisers que je t’envoie.
Juliette
BnF, Mss NAF 16366, f. 273-274
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
19 août [1848], samedi matin, 10 h.
Je t’écris coup sur coup pour ne pas manquer l’heure de la poste. Je tiens beaucoup non à ce que tu reçoives les dits gribouillis, mais à les faire. Aussi je quitte tout pour satisfaire cette manie dont tu [te] passerais bien mais qui me fait grand plaisir. Je n’espérais pas te voir hier au soir et cependant à chaque bruit qui se faisait autour de moi je croyais te voir [4]. Cela a duré tout le temps du spectacle et ce n’est qu’à la fin que j’ai eu la triste conviction que je ne te verrais pas. Je suis revenue à plus de minuit mais sans aucune mauvaise rencontre. D’ailleurs il faisait un clair de lune admirable. Avant d’aller au théâtre j’avais eu la visite d’un aveugle des Quinze-Vingt [5] accompagné de sa femme. Il venait au nom de l’aumônier de son hospice te demander ton appui pour une réclamation à faire au ministre de l’Intérieur [6]. Mais d’ailleurs tu verras les papiers et je ne vois pas pourquoi je perds du temps et un papier précieux quand j’ai à te dire tant de choses tendres, tant d’admiration et tant d’amour.
Juliette
BnF, Mss NAF 16366, f. 275-276
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette