30 avril [1848], dimanche matin
Bonjour, mon adoré bien-aimé, bonjour, je t’aime et vous ? Je suis bien contente de tout ce qui arrive. Tu ne seras pas de cette Assemblée et tu as eu toutes les voix les plus honnêtes et les plus intelligentes de tout Paris, c’est tout profit et tout honneur [1]. Quant à moi je ne peux pas te dire à quel point je suis satisfaite de ce résultat. Le bon Dieu m’a exaucée et je l’en remercie avec tout ce que j’ai de meilleur en moi. Il y a encore bien des choses que je lui demanderai pour plus tard. Mais dans ce moment-ci, je me contente de ce qu’il t’a donné. D’ailleurs je n’en serai que plus exigeante dans un autre moment. En attendant je fais vie qui dure [2] et je vous laisse aller à la Mule Blanche [3]. D’ailleurs il y avait longtemps que le carabinier de Charles était de faction et que Chaumontel trimait. Il était temps de les laisser se reposer un peu. Et puis la MULE BLANCHE bien ferrée peut aller loin. Voime, voime, baisez-moi et prenez garde à la ré-action. Vous ne savez pas assez ce dont je suis capable, mais moi je crois savoir beaucoup trop ce dont vous êtes COUPABLE. Taisez-vous.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16366, f. 149-150
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
30 avril [1848], dimanche midi
Je vais donc aller voir cette fameuse exposition ! Je voudrais déjà en être revenue parce que d’avance je sens que cela ne m’amusera pas et aussi parce que je souffre. J’ai eu une mauvaise digestion cette nuit, de sorte que je suis toute blaireuse aujourd’hui.
Je le fais pour obliger ce pauvre Vilain, mais en vérité je le trouve bien naïf de s’imaginer que je suis en état de lui donner une opinion avec connaissance de cause. Cette confiance de sa part m’honore. Malheureusement elle ne peut pas le servir. Tâche mon bien-aimé d’être revenu en même temps que moi pour que je te voie le plus longtemps possible. Tout mon bonheur est dans ta vue, toute ma vie est dans ton amour. Je te baise et je t’adore. Je t’attends et je te désire et puis je recommence sans me lasser jamais. Mon Victor béni, mon grand Victor, mon pur et noble homme, mon divin poète, je t’aime de tous les amours à la fois. Je te donnerais ma vie comme mère, je te tuerais comme maîtresse, je t’admire et je te bénis comme les anges admirent et bénissent Dieu dans le paradis.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16366, f. 151-152
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette