Guernesey, 27 oct[obre 18] 78, dimanche matin, 6 h. ½.
J’espère que tu dors encore, mon grand petit homme, et c’est pour ne pas te réveiller que j’entre à pas de loup dans ton rêve pour lui sourire, s’il te plaît, pour le bénir, s’il s’accorde avec mon amour.
J’espère encore que tu ne te laisseras pas aller à la tentation de sortir sous la pluie comme hier ? Il faut de l’imprudence, pas trop n’en faut, l’excès en tout est un défaut… accompagné de pleurésie et de bronchite. Je vais commencer aujourd’hui à préparer ma malle et à ranger la maison en vue de notre prochain retour à Paris et d’une absence indéterminée de cette île charmante… mais entourée d’eau. De ton côté, tu ferais peut-être bien de vaincre ta paresse ou ton indifférence, toutesa les deux à la fois, probablement, pour faire une revue de tes armoires, dites profondes. Tu y retrouverais peut-être les trois actes manuscrits de LES JUMEAUX [1] et beaucoup d’autres choses encore avec. Tu pourrais utiliser ainsi la présence de Lesclide qui ne demande qu’à te servir jour et nuit. Si tu ne le fais pas, je crois que tu le regretteras plus tard : j’ai dit ! Autre guitare, vous ne me donnez pas d’argent du tout, mon maître, je m’en passe [2], mais votre cuisinière ne s’en passe pas, à preuve que vous lui devez 90 F. à l’heure qu’il est. Demain, lundi, jour de blanchissage… et le reste. Maintenant, tirez-vous de là comme vous pourrez, je m’en bats les deux œils. Je vous aime au content et même au comptant. Voir le dictionnaire de l’Académie, et je vous adore rubis sur l’ongle.
Monsieur
Victor Hugo
Hauteville House
Syracuse
Transcription de Gérard Pouchain
[Barnett et Pouchain]
a) « toute ».