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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 décembre [1847], jeudi matin, 8 h. ¾

Bonjour, mon petit homme, bonjour, injuste, mais cela ne peut pas aller ainsi, votre arrangement, j’y perds trop. Je n’ai pas mon compte, il me faut mon compte ou je n’accepte pas le marché. Vous vous en allez à dix heures et vous ne revenez plus. Vous ne faites pas attention que tout le temps que vous êtes auprès de moi vous ne me dites pas un traître mot. Je sais bien que vous ne pouvez pas faire autrement puisque vous travaillez mais ce serait le cas de me rabibocher en revenant quelques instants dans la nuit. Tu dois comprendre, mon Victor, que j’ai besoin d’échanger quelques bonnes paroles avec toi. Mon cœur regorge de tendresse dont je ne sais que faire. Et puis je suis un peu jalouse. Je ne comprends pas bien encore pourquoi cette division de ton temps puisque tu ne rentres pas tout de suite pour souper ? Quelle nécessité alors de me quitter à dix heures précises si tu n’esa pas attendu précisément à cette heure-là par quelqu’un, ou quelqu’une que tu as intérêt à ne pas faire attendre plus tard ? Réponds si tu l’oses et ne mens pas si tu peux [1]. Moi je voudrais, si c’est possible et si cela ne contrarie pas trop tes RENDEZ-VOUS que tu restesb avec moi jusqu’à l’heure de ton vrai souper. D’après l’amour que j’ai pour toi et le bonheur que j’en retirerais si tu restais avec moi plus longtemps ou si tu revenais plus tard tu devrais y consentir tout de suite. J’en serais bien plus que reconnaissante. J’en serais la plus heureuse des Jujus.

BnF, Mss, NAF 16365, f. 264-265
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

a) « est ».
b) « reste ».


2 décembre [1847], jeudi

Je ne veux pas te grogner, mon amour bien-aimé, d’abord parce que cela n’avancerait à rien, ensuite parce que cela contraste trop avec ton humeur douce, aimable et charmante. Ma lippe ne va pas avec ton ravissant sourire. Mes mouzonneries jurent avec tes gracieuses bouffonneries. Cependant je voudrais bien, par un moyen quelconque et irrésistible, faire que tu reviennes dans la nuit. Et cependant, mon doux adoré, mon Victor trop aimé, je ne veux pas te gêner dans ton travail ni te causer un surcroît de fatigue en te priant de revenir dans la nuit. Si tu m’assures que tu m’es bien fidèle et que ce nouvel arrangement si onéreux pour moi n’est fait que pour faciliter ton travail je me résignerai avec courage et je n’insisterai pas davantage jusqu’à ce que tu aies fini. Par exemple une fois ton travail achevé je rentre dans tous mes droits et je reprends mes vieilles et si bonnes traditions. Je redeviens JUJU à l’état NATUREL. Je mets les CULOTTES à feu et à sang, je me vautre dans les plaies et les bosses. Je ne chante pas la Marseillaise mais je crie de toutes mes forces : quel Bonheur !!! jusqu’à extinction de toute espèce de choses sans compter le RESTE. En attendant je serai bien douce, bien sage, bien vieille, bien bête et bien éteinte si vous m’assurez que c’est nécessaire à votre travail : parlez la main sur la conscience, mon amour, et je vous écouterai de même.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 266-267
Transcription de Yves Debroise assisté de Florence Naugrette

Notes

[1Variation sur une citation célèbre : « Devine si tu peux, et choisis si tu l’oses », Léontine à Héraclius, Héraclius de Corneille (Acte IV, scène 5).

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