9 août [1841], lundi après-midi, 2 h
Vous êtes allé à la répétition [1], mon amour, ou à la commission des auteurs [2] car vous avez tourné le coin opposé à votre demeure [3] et cela dans un moment où la pluie menaçait [4] ? Je vous en reconnais le droit, surtout si vous ne me trahissez pas et si vous m’êtes bien fidèle de corps, de cœur et de pensée. Moi je reste toujours là « à voir tourner mon ombre sur mes pieds » [5]. Cependant je ne me plains pas aujourd’hui car j’ai eu ma goutte de rosée, pour continuer la métaphore, et je suis heureuse ; pour me complétera, il me faudrait mon Pécopin et ma BAULDOUR mais je n’ose pas y compter pour aujourd’hui [6].
N’oubliez pas, mon amour, que je veux aller à la première représentation de Ruy Blas à la Porte Saint-Martin et tâchez de m’avoir une loge pour Mme Krafft et sa sœur et deux places pour Mme Triger. Ces places seraient d’autant plus opportunes que tu ne seras plus en mesure d’en demander pour les représentations suivantes puisque tu es tout à fait en délicatesse avec ces arracheurs de dents [7]. Cependant je ne veux pas te tourmenter plus que de raison, il va sans dire que c’est toujours si tu peux.
Je vais écrire à Madame Krafft aujourd’hui et à ma fille. J’écrirai plus tard à ma couturière si tu n’as pas d’argent pour la payer demain. Quel est le légume que les femmes préfèrent [8] ? Quel est l’âge du capitaine Lambert ? Quelle différence y a-t-il entre un pain de sucre et un voyageur [9] ? Quelle différence y a-t-il entre Toto et une bête ? – Il n’y en a pas. – Taisez-vous, misérable, vous mériteriez des giffes. Tâchez de venir très tôt si vous ne voulez pas que je vous déteste autant que je vous aime. Tâchez aussi de m’apporter bien vite la fin de mon histoire afin que ça fasse mon compte [10]. Et puis baisez-moi et aimez-moi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16346, f. 131-132
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « completter ».