Guernesey, 20 août 1856, mercredi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon cher adoré, bonjour, mon bien-aimé, ne te réveille pas car tu peux voir mon âme en rêve et sentir tous les baisers que mon cœur te donne en pensée à travers ton sommeil. Je suis levée depuis cinq heures du matin et j’ai écrit à Mme Luthereau, à Jourdain [1] et à la mère Lanvin sans désemparer. Il fait un temps affreux qui m’imbibe de rhumatismes de la tête aux pieds mais je t’aime invariablement et je ne mets pas de borne à ma MANNEa. En attendant, je jette les hauts cris dans mes lettres à la mère Lanvin et au jeune Jourdain pour qu’ils me fassentb rendre quelques sous en guise de dommage pour tous mes pauvres bibelots avariés par la stupidité de l’emballeur [2]. Cependant, je doute qu’ils obtiennent rien vu l’absence de constatation légale du dégât. Aussi, ce que j’en ai fait est pour t’obéir et non pour réussir avec et sans la rime. Du reste, j’en ai pris mon parti maintenant, pourvu que tu me restesc tout entier, je me fiche du reste. Tel est mon STYLE. Voyons un peu le vôtre et comparons lequel est le plus panaché de pataquès. Dormez, vieux Toto, et ne vous mêlez pas de ma grammaire. Ça vous fait ça vous regarde ! Baisez-moi correctement, ça vaudra bien MIEURE [3].
Juliette
Bnf, Mss, NAF 16380, f. 218.
Transcription de Mélanie Leclère, assistée de Florence Naugrette.
a) « MANE ».
b) « fasse ».
c) « reste ».