Paris, 16 novembre [18]70, mercredi soir, 4 h. ½
J’espérais que la journée apporterait un peu de soulagement à mon mal de tête et j’ai même été acheter ton coutil, pensant que le grand air me ferait du bien, mais inutilement. Je suis toujours logée à la même migraine.
Donc, mon pauvre cher bien-aimé, il faut que j’en prenne mon parti et toi aussi car rien n’est plus embêtant qu’une femme qui se plaint toujours. Autre guitare, as-tu pensé à me dégager de Mme Ugalde [1] ? J’espère que la bonne Mme P. Meurice [2] t’aura aidéa dans cette tâche assez délicate, mais absolument nécessaire à l’état de ma santé et… le reste qui n’existe plus. Donc demain, pas de Mme Ugalde, au moins pour ce qui me concerne. Je crois que si tu prends la peine de lui expliquer ta grande et adorable Patria elle la chantera à merveille [3]. Telle est ma conviction. C’est un bien grand et bien humiliant regret pour moi, mon ineffable adoré, d’être forcée de renoncer à l’honneur de t’interpréterb pour si peu que ce soit. Mais mon respect pour ta personne et pour ton œuvre ne me permet pas de risquer une parodie de cet hymne sublime ni de caricaturer celle que tu honores de ton amour depuis trente-huit ans. Je suis sûre que tu m’approuves et je t’en remercie du fond du cœur. Je n’ai pas vu les enfants mais j’ai entendu leurs petits cris joyeux toute la matinée. J’attends avec impatience le moment où tu m’ouvriras leur porte. En attendant, je t’ouvre les bras et le cœur et je t’adore.
Galerie Arts et Autographes (expert Jean-Emmanuel Raux), catalogue n° 68, octobre 2013
Transcription de Florence Naugrette
a) « aider ».
b) « inprêter ».