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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 août 1838

3 août [1838], vendredi matin, 11 h. ¾

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon beau garçon, bonjour, je t’aime de toute mon âme. J’ai honte d’avoir fait la paresseuse ce matin, je ne me suis réveillée que très tard et avec les yeux gros comme des poings. Il est vrai que les punaises m’avaient tenue en haleine cette nuit puisque j’en ai tuéa et fait prisonnières 11 ! Mais ce n’était pas une raison pour me lever si tard, surtout quand toi mon adoré tu ne dors pas. Que je t’aime ! Je ne sais pas pourquoi je veux essayer de dire autre chose que ce mot-là. Je n’en sais pas d’autre d’abord et puis ensuite je le trouve ravissant à dire, à écrire, à penser, je ne m’en lasse jamais. Je vis avec lui, dans lui et par lui [1]. Je t’aime ! Je voudrais pouvoir te montrer tout ce que contient ce simple mot, tu serais étonné et ravi, c’est celui dont on pourrait dire qu’il en contient plus qu’il n’est gros [2] car je t’aime c’est ma vie, je t’aime c’est mon souffle, je t’aime c’est ma pensée, je t’aime c’est mon passé, je t’aime c’est mon présent, je t’aime c’est mon avenir, je t’aime c’est mon âme.

Juliette

Bnf, Mss, NAF 16335, f. 129-130
Transcription d’Armelle Baty assistée de Gérard Pouchain.

a) « tuée ».


3 août [1838], vendredi soir, 6 h.

Tu travailles, mon pauvre adoré, et moi je t’aime. Nous faisons chacun notre tâche, toi tu travailles pour la gloire, moi pour le bonheur mais tu réussiras mieux que moi dans le résultat car j’ai beau t’aimer, te désirer et t’adorer, le bonheur fait la sourde oreille et vient le moins qu’il peut. Tu es bien occupé mon pauvre adoré, je le sais et je tâche d’avoir du courage. Si je n’y réussis pas autant qu’il le faudrait, c’est que je t’aime trop, il ne faut pas m’en vouloir mais me plaindre. Je n’ai toujours pas de nouvelle de l’argent de la pension ; je suis vraiment inquiète de tous ces retards qui n’annoncent que mauvaise volonté de payer, mauvaise foi et misérable cœur [3]. Cela me tourmente pour ma pauvre fille au-delà de toute expression. Si je ne t’avais pas, mon pauvre adoré, à aimer et à admirer, je prendrais tout ce monde en haine et en dégoût, à commencer par moi. Mais tu es si beau toi, tu es si noble toi, tu es si grand toi, tu es si doux toi, tu es si sublime et si adorable que je n’ai pas assez d’yeux pour t’admirer, assez de mains pour te caresser, assez de genoux pour t’adorer, assez de bouche pour te baiser et trop d’âme et d’amour pour savoir bien dire ce que je sens.

J.

BnF, Mss, NAF 16335, f. 131-132
Transcription d’Armelle Baty assistée de Gérard Pouchain.

Notes

[1Réminiscence de la Prière eucharistique « Par Lui, avec Lui et en Lui ».

[2Dans Les Femmes savantes de Molière, Bélise, à l’acte III, scène 2, admire le mystérieux « quoi qu’on die » du sonnet de Trissotin en ces termes : « il dit plus de choses qu’il n’est gros ».

[3C’est James Pradier, père de Claire, qui est visé dans son peu d’empressement à régler les dépenses nécessaires à l’éducation de sa fille.

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