Paris, 10 février [18]72, samedi soir, 4 h.
Je pensais que Dulac viendrait enfin aujourd’hui, ce qui est cause que je ne t’ai pas écrit ce matin pour avancer un peu les affaires du ménage. Cette précaution ne m’a servi à rien et je suis grosse bonne femme comme devant et ne sachant quel parti prendre. Dans le doute je m’abstiens, mais pas pour longtemps car il paraît que la barrique, posée devant la porte de ma cave, empêche les autres locataires d’entrer dans la leur. Tout cela ne serait rien si le bon Dulac voulait se souvenir qu’il m’a promis de s’occuper de trouver un tonneliera en qui il ait confiance. J’espère qu’il ne peut tarder au-delà d’aujourd’hui et que je serai enfin débarrassée de ce petit souci demain. En attendant, j’ai vu ta ravissante petite Jeanne que Mariette disait souffrante mais qui n’en a pas moins dévoré à belles petites quenottes du bon gigot saignant, du bon raisin, de bonnes oranges et des bons biscuits, ce qui me rassure un peu sur la gravité de son bobo. Puis j’ai copié tes admirables vers à Louise Michel [1]. Quelle explication tu donnes de cette femme mi partie ange et démon, c’est à vous en faire venir le pétrole à la bouche ! Justification, réhabilitation, consécration, tout est dans tes généreux et sublimes vers et pourtant je ne voudrais pas en mériter la gloire. À chacune ses mérites. Je préfère le mien qui est de t’aimer.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 37
Transcription de Guy Rosa
a) « tonnellier ».