Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1846 > Juillet > 6

6 juillet [1846], lundi matin, 9 h.

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon cher petit homme, bonjour, je vous baise, je vous aime, je vous adore, je vous désire et je vous attends. Bonjour, comment que ça va ce matin ? As-tu un peu dormi cette nuit ? À quelle heure t’es-tu couché ? As-tu pensé à moi ? As-tu rêvé de moi ? M’as-tu regrettée, désirée et aimée ? Hélas ! je ne me fais pas cette douce illusion. Je ne suis que trop sûre qu’une fois absorbé dans ton travail tu ne penses plus du tout à moi. Je tâche de suppléer par un redoublement d’amour à celui que tu ne me donnes pas, mais cela ne me satisfait pas. Je suis comme le M. de Bade [1] : L’amour et l’amitié sont des jeux auxquels on ne peut pas jouer longtemps seul. J’oserais même faire cette variante : auxquels on ne peut pas jouer du tout seul. Je ne le sais que [trop,] de reste. Cher petit bien-aimé, mon adoré petit Toto, mon Victor, mon bon ange, mon amour, il faut tâcher de venir de bonne heure et de rester longtemps. Je t’en prie, je t’en supplie. À quoi sert que vous n’ayez pas de Chambre si vous ne venez pas plus souvent et si vous ne restez pas davantage ? Répondez à cela si vous pouvez me donner une raison bonne et tendre. En attendant, je fais vie qui dure et je me décourage car je vois bien que plus je vais, plus je t’aime et moins je suis avec toi. Pardonne-moi cette rabâcherie, mon Toto adoré, et dis-toi pour m’excuser que je t’aime trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 207-208
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette


6 juillet [1846], lundi après-midi, 3 h. ¼

Je t’attends, mon Victor adoré, c’est te dire que je t’aime, que je suis triste, que je te désire et que je souffre. Il faut que tu sois bien occupé pour me laisser ainsi seule dans ce moment-ci ? Je te rends bien cette justice, mon Victor adoré, de croire que si tu ne viens pas me consoler et m’apporter un peu de bonheur, c’est que tu ne le peux pas. Je suis tout à fait seule aujourd’hui mais je ne m’en plaindrais pas si tu étais là. Même, pour être vrai, je ne m’en plains pas toi absent. La solitude ne m’est pas mauvaise, au contraire. Ce qui m’est insupportable et odieux, c’est ton absence. Ce n’est pas d’aujourd’hui que je le sens et que je le dis, mais jamais je ne l’ai mieux senti qu’à présent. En entrant tout à l’heure dans ma chambre, j’ai trouvé ma table inondée par l’orage qu’il a fait tantôt. J’avais oublié que ma fenêtre était ouverte, ce qui fait que toute la pluie est venue sur ma table. Le mal de tout cela c’est le brillant de ma table perdu, les pains à cacheter collés les uns aux autres, et, surtout, mais bien par dessus tout, mon joli gribouillis de ce matin abîmé et sali. Tu penses si j’ai sujet d’être contente et si je n’ai pas besoin de toute ma philosophie pour supporter ce désastre.
Cher Toto, je voudrais rire et je ne fais qu’une plate et niaise grimace : ne forcez pas votre talent, vous ne feriez rien avec grâce. J’aurais dû m’en souvenir plus tôt et t’embrasser tout bonnement de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 209-210
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Allusion à élucider.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne