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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 avril [1836], samedi matin, 9 h.

Bonjour mon petit homme, comment que ça va ce matin ? Je vous aime, entendez-vous, je vous aime. Vous m’avez rempli le cœur de joie avec un mot hier ; aussi, quoique je n’aie pas beaucoup dormi, j’ai passé une très bonne nuit. Je t’aime plus que jamais ce matin. J’ai du courage, j’ai de l’avenir car je crois que tu m’aimes. Merci mon cher bien aimé, merci pour la douce parole que tu m’as dite hier.
Il fait bien beau temps ce matin et je m’en réjouis pour toi qui travailles. Au moins tu ne seras pas mouillé et tu n’auras pas froid.
Je voudrais bien voir ANGELO TYRAN DE PADOUE [1]. Je voudrais d’autant plus le voir que ce sera un moyen de t’avoir quelques instants plus tôt, et puis d’ailleurs je ne suis pas en état de GRÂCE pour rester SÉDENTAIRE. Aussi, vous devriez profiter de ce moment-ci pour me mener voir Angelo qui après une certaine chose est ce que j’aime le plus à voir.
Je vais donc vous tourmenter bien fort pour m’y mener le soir.
Vois-tu, mon Toto bien aimé, je fais plus que t’adorer, bien plus que t’admirer, je t’aime de toutes les forces de mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 310-311
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa


16 avril [1836], samedi soir, 7 h. ½

Je t’écris bien avant mon dîner parce que lorsque tu es sorti ma Marie-Torne n’avait point encore allumé son feu pour le poulet. Je ne songe à t’en prévenir que parce que tu as la tyrannie d’attacher de l’importance à tout ce qui se passe autour de moi. Car sans cela j’ai bien un autre joli petit chien à fouetter, ma foi, un petit chien dont les quatre pattes sont blanches et le museau rose, un petit chien qui ne se met jamais que sous ma couverture et que je ne fouette qu’avec des bons baisers bien tendres, un petit chien très bien dressé qui s’en va quand on l’appelle – et comme on l’appelle toujours, il s’en va sans cesse –, enfin un petit chien très adoré et fidèle comme tous les chiens, ni plus ni moins. Voilà par où j’aurais commencé ma lettre, sans la chicore [2] du dîner dont il m’a fallu rendre compte.
J’espère, mon pauvre petit homme, que tu n’auras pas la barbarie de faire jeûner ton pauvre petit bedon parce qu’il plaît à votre génie d’enfourcher son pégasea comme pourrait faire M. Le Comte de Sept. Sacr [3] de la Cacadémie. J’espère en outre que vu mon état désespéré vous voudrez bien me mener voir Angelo [4], cette immoralité en quatre actes. Donnez-moi-z-en encore pour deux sous.
Je t’aime, toi ; je t’aime, veux-tu de moi, dis, pour jusqu’à la fin de mes jours, veux-tu ? Je tâcherai de ne vivre que cent un ans et quelques jours pour me repentir de t’avoir trop aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 312-313
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa

a) « pégasse ».

Notes

[1La pièce est reprise à la Comédie-Française. Cette fois, Marie Dorval joue la Tisbe, et non plus Catarina comme à la création l’année précédente.

[2Dispute, bagarre, en langage familier sinon argotique. À moins qu’il faille lire « chicose » qui nous reste impénétrable – voir la lettre du 24 avril.

[3Allusion à élucider.

[4Angelo tyran de Padoue est repris à la Comédie-Française.

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