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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 mai 1847

28 mai [1847], vendredi matin, 7 h. ½

Tu as cent fois raison, mon Victor, et je suis un être absurde au-delà de toute expression. Je ne sais pas ce qu’il faudrait que je fasse pour résister à l’agacement hideux que me donne ce froissement de papier au milieu de la nuit. Pour cela il faudrait que je ne dorme pas, ce qui m’est presque impossible, n’ayant personne à qui parler. Quoi qu’il en soit jusqu’à présent des efforts que j’ai faitsa infructueusement, je reconnais que tu as été le plus patient des hommes et hier en particulier. Mais cela ne suffit pas et je voudrais à mon tour te rendre en gaieté et bonne humeur et en amour tout ce que tu me donnes en bonté. Il faudra que j’invente un moyen de résister à ce sommeil engourdissant qui me prend toutes les nuits vers l’heure à laquelle tu viens. Pour cela il faudra que je ne me couche pas et que j’aille me promener dans le jardin. Chaque fois que je me sentirai prête de succomber à la somnolence, de cette façon je parviendrai peut-être à me tenir éveillée jusqu’au moment où tu viendras. Cela vaudra mieux pour moi que de passer le reste de ma nuit à pleurer du regret de n’avoir pas su mettre mieux à profit ta visite désirée et ta persistante proposition, que dans un autre moment j’aurais accueillie avec des cris de joie et d’amour. En attendant, je te demande pardon à genoux de ma stupide grognerie de cette nuit.

Juliette

MVH, α 8100
Transcription de Nicole Savy

a) « fait ».


28 mai [1847], vendredi après-midi, 2 h. ½

Je ne sais pas quand je te verrai, mon pauvre bien-aimé, mais je sais trop bien que je t’attends, que je te désire et que je t’aime. Ma stupide réception de cette nuit m’a laissé une sorte de malaise et de remords dont je ne serai guérie que lorsque je t’aurai vu et que tu m’auras dit que tu me pardonnes et que tu m’aimes toujours. Jusque-là, je serai triste et malheureuse de tout mon cœur. C’est bien dommage que tu ne puisses pas rompre quelquefois cette uniformité de travail à heure fixe pour les transposer de temps en temps de minuit à midi. De cette façon j’aurais un peu plus souvent l’occasion de te voir et de rester avec toi sans tomber de sommeil et d’engourdissement. Il paraît que cela ne se peut pas puisque tu ne le fais pas, mais je ne peux pas m’empêcher de le regretter chaque fois que les tristes choses de cette nuit se renouvellent. Aujourd’hui j’étais prête de très bonne heure, espérant que tu viendrais, mais cela ne m’a pas beaucoup réussi jusqu’à présent. Peut-être ne te sens-tu pas attiré vers moi après la maussade figure que je t’ai montréea cette nuit ? Ce serait tout à la fois juste et cruel car si ma figure exprimait une souffrance physiqueb au-dessus de mes forces, mon cœur sentait au-dedans de lui un amour sans borne pour ta bonne et gracieuse petite personne.

Juliette

MVH, α 8101
Transcription de Nicole Savy

a) « montré ».
b) « phisique ».

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